DEGAGEMENTS… TUNISIE UN AN APRES / EXPOSITION A L’INSTITUT DU MONDE ARABE

THAWRAT EL-KARAMA –  ETAT DES LIEUX D’UNE REVOLUTION

L’Institut du Monde Arabe présente actuellement une  exposition collective, Dégagements… La  Tunisie, un An Après. Une exposition qui vient marquer l’anniversaire du  départ d’une révolution partie de Sidi Bouzid et qui s’est propagée dans tout le  monde arabe : Tunisie, Egypte, Syrie, Lybie, Jordanie etc. Le peuple s’est  indigné et a crié : DEGAGE ! Le roi est aujourd’hui déchu et toute une société,  un pays est à repenser et à reconstruire. Dans ce projet, les artistes, citoyens  avant tout, ont un rôle à jouer. L’exposition rassemble vingt artistes,  essentiellement tunisiens, qui ont porté un regard particulier sur les  évènements. Chacun à leur manière, ils ont vécu au cœur de la révolution et en  ont produit une interprétation, un témoignage ou une interrogation plastique.  Sculptures, peintures, photographies, vidéos, peintures, actions urbaines et  dessins sont mis au service d’une réflexion urgente, à vif, critique et  solidaire.

Tout  commence avec l’immolation de Mohamed Bouazizi, un jeu chômeur de Sidi Bouzid,  qui ne supportait plus les confiscations systématiques de l’état qui l’empêchait  de vendre ses fruits. Alors que le président Ben Ali parle d’un « acte  terroriste », la colère monte. La mort du jeune homme touche au plus profond non  seulement les habitants de son village, mais tout un pays qui va bientôt  s’embraser pour la liberté. Un évènement déclencheur admirablement résumé par  l’œuvre textile d’Abdoulaye Konaté,  où sur un fond blanc (inspirant la paix, la virginité et le renouvellement)  trône le drapeau tunisien au dessus des fruits du jeune marchand sacrifié [Fruits de Tunisie, (Bouazizi) – 2011].  L’artiste libanais, Ali Cherri, rend  également hommage au jeune homme à travers l’œuvre Le Pyromane (2011), où sur un panneau de  bois est écrit « je ne suis pas pyromane » au moyen de centaine d’allumettes  brûlées. Il explique : « On a assisté à  un grand nombre de tentatives d’immolation, beaucoup de fois des gestes ratés  qui laissent leurs auteurs avec de graves brûlures. Des immolations qui ont  donné à l’acte, autrefois symbolique et porteur d’une dimension existentielle,  une forme de consommation rapide de la peau, de la surface de l’être. Cette peau  mutilée, brûlée, défigurée, est tout ce qu’on peut encore donner en spectacle  comme geste politique. » La  mort de Mohamed Bouazizi résonne en une jeunesse privée, contrainte,  dévalorisée. La jeunesse tunisienne s’organise, se regroupe et fait bloc. Elle  sera rapidement rejointe par des hommes et des femmes de tout âge et de toute  classe : la société implose et réclame libertés, dignité et changement radical.  Le peuple est littéralement contaminé par le virus de la révolution comme  l’indique la piquante installation de Rym Karoui [Les Virus de la Révolution – 2011]. Dans  une formidable ferveur, un désir collectif, ensemble ils clament : DEGAGE  !

Sous les yeux admiratifs d’une communauté internationale  solidaire, la Tunisie parvient à se libérer. Non sans morts et victimes, la  répression est violente, aveugle. Pourtant, le 14 janvier 2011, Ben Ali quitte  son palais et déserte son pays. S’il est aujourd’hui en cours de jugement, les  Tunisiens réclament justice et espèrent la mise en place d’un processus  démocratique, d’un respect des droits de chacun (notamment des femmes), d’une  société laïque, plurielles et ouverte. Une page de l’histoire est tournée, comme  le signifie Héla Lamine avec la  série Nous ne Mangerons plus de ce Pains  là (2011) ; un portrait au pochoir de Ben Ali réalisé avec du pain et de  l’eau. Une image éphémère puisqu’elle s’est naturellement désintégrée par le  pourrissement du pain. La métaphore est de circonstance. Les acteurs de la  révolution sont les architectes d’une nouvelle Tunisie où l’art va enfin  retrouver une place de choix. Après vingt-quatre années de censure, les artistes  souhaitent restaurer non seulement la culture tunisienne mais aussi ses formes  contemporaines. Depuis un an, l’art contemporain tunisien se manifeste  publiquement, il transgresse, informe, critique et caricature un État qui l’a  opprimé. Dans cette période de transition, il se doit de trouver sa place :  création de centres d’art, de musées, de galeries, d’un marché etc. Mais le  pouvoir à d’autres préoccupations et les moyens manquent…Le 19 janvier 2011 (15  jours après la mort de Mohamed Bouazizi) est créé le MNAMC (le Musée d’Art  Moderne et Contemporain) par un collectif d’artistes qui mènent des actions de  sensibilisation empruntes d’humour et d’ironie, pour marquer l’absence  d’institution culturelle et de musée. Le MNAMC n’est pas un lieu spécifique, il  n’abrite aucune œuvre. Il est matérialisé par des actions dans les rues de  Tunis. Halim Karabibene lui donne  son emblème : une cocotte minute. Il réalise les portraits d’une armée  burlesque, composée 99 soldats : artistes, galeristes, étudiants en art,  collectionneurs et autres militants. [Comité Populaire pour la Protection du MNAMC  de Tunis – 2011]. Tous affublés de cocotes et autres objets issus du  quotidien, ils luttent ensemble pour le rétablissement et le soutien de l’art,  sous toutes ses formes.

Les réseaux sociaux ont joué un rôle de premier choix  pour la structuration de la révolte : création d’évènements (regroupements,  actions ciblées, manifestations), diffusion des informations non seulement en  Tunisie mais aussi dans le monde entier (vidéos, photographies, témoignages  directs). Hichem Driss a réalisé les  portraits de ceux et celles qui se sont battu pour la liberté d’expression sur  Internet [Erreur 404 – 2010]. Des  femmes et des hommes affichant une fierté et leurs différentes. Si leurs corps  sont dénudés, libérés, leurs regards sont occultés par une barre de censure  noire : Ammar # 404, le nom de code  donné par les bloggeurs pour signifier la censure de Ben Ali. Hichem Driss  révèle les corps de ces acteurs souterrains et indispensables qui ont mené un  combat acharné pour une parole libre. Une parole retrouvée que Mouna Karray instille dans son film Live (2011). Sur des images de  propagande où Ben Ali apparaît figé, la voix d’un chauffeur de taxi, « il faut  le virer, il faut que ça change ». L’artiste a capté une conversation, le temps  d’une course dans Tunis, et a surimposé la voix libre aux images muettes et  immobiles du dictateur déchu. Partout, les voix s’élèvent, la critique se fait  entendre et s’impose même sur les murs de Tunis comme le montrent les graffs  acides et critiques de Sk One. Ce  dernier a réalisé un graff in situ à l’Institut du Monde  Arabe.

Les artistes ont accompagné et pris part à la révolte,  aux manifestations, à la diffusion des informations (souvent vitales) et aux  diverses prises de parole. Aujourd’hui ils témoignent à leurs manières de la  révolution en présentant des œuvres produites simultanément ou bien avec des  semaines ou des mois de recul. Ils déploient ainsi plusieurs thématiques : la  fin de la censure qui implique une libération immédiate de la parole et de  l’image, le rôle des réseaux sociaux, la caricature, des visions plus  métaphoriques, optimistes et expansives. Mais aussi le statut des femmes, comme  en témoignent les œuvres de Meriem  Bouderbala qui, depuis les années 1990, mène une réflexion sur le corps des  femmes et crée des portraits de femmes, des silhouettes formées de peintures,  d’eau et de fils de coton. Le corps est nu, anonyme, la chair est à vif, les  mouvements traduisent la lutte, le combat pour ouvrir le champ des possibles.  Une idée que nous retrouvons dans une série d’autoportraits imprimés sur des  sacs de frappe, Faten Gaddes  interroge le concept d’identité et son statut en tant que femme. Elle écrit :

Jamais je n’aurais imaginé un jour me  mettre en scène.

Jamais je n’aurais imaginé un jour être  confrontée à cette forme de violence.

Jamais je n’aurais imaginé ne pas être  une femme libre.

Jamais je n’aurais imaginé …

Il y a un an, la Tunisie scandait DEGAGE ! Aujourd’hui  elle lui préfère le terme ENGAGE ! En tant que citoyens d’un pays en transition  et producteurs d’une nouvelle scène culturelle, les artistes tunisiens  s’engagent pleinement dans leur aventure, celle de la liberté d’expressions.  Débarrassés de la censure et de toute forme de surveillance, ils ont désormais  la voie ouverte pour explorer de nouveaux territoires à l’image des œuvres  bourgeonnantes d’Aicha Filali [Bourgeois di(n)vers – 2011]. De  nouvelles directions sont à emprunter. Ainsi, nous comprenons et voyons une  implication collective, plurielle et protéiforme qui s’exprime avec force et  splendeur dans une exposition construite comme un manifeste proclamant un avenir  culturel libre, critique et indépendant.

Julie Crenn

Exposition, Dégagements… La Tunisie, un An Après,  du 17 janvier au 1er avril 2012, à l’Institut du Monde Arabe (Paris).  Commissariat : Michket Krifa.

Liste des  participants : Abdoulaye Konate, Ahmed Hajeri, Aicha Filali, Ali  Cherri, Faten Gaddes, Halim Karabibene, Hela Lamine, Hichem Driss, Jellel  Gasteli, Majida Khattari, Meriem Bouderbala,  Mouna Karray, Mourad Salem, Nabil  Saouabi, Nadia Khiari, Nicene Kossentini, Nidhal Chamekh, Patricia Triki, Rym  Karoui, Sk One, Wassim Ghozlani, Wissem El Abed.

Informations sur l’exposition : http://www.imarabe.org/exposition/degagements-la-tunisie-un-apres.

Visuels : – Rym Karoui Les Virus de la Révolution, 2011. Résine et peinture, H. 45 x 60 x 64 cm chaque. Installation de 8 sculptures. Courtesy Galerie El Marsa

– Ali Cherri Le  Pyromane, 2011. Allumettes  brulées et panneau de  bois, 185 cm x 40cm, éd.1/ 3. IF Galerie  Paris © Ali Cherri. Courtesy the artist and Imane Farès, Paris
– Halim Karabibene Triptyque photographique composé de : Comité Populaire pour la Protection du Musée National d’Art Moderne et Contemporain MNAMC de Tunis, 2011 et Soldat n°1 Uniforme d’hiver, Les 99 premiers soldats, Soldat n°1 Uniforme d’été. Photographies sur aluminium. Courtesy Galerie El Marsa.

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