JENUFA : FRIEDRICH MEYER-OERTEL MET EN SCENE JANACEK

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JENUFA / Opéra de Leoš Janáček (1854 – 1928) / Création à Brno le 21 janvier 1904/ Représentation de l’Opéra-Théâtre d’Avignon du 17 mars 2013 / Direction musicale : Balázs Kocsár / Mise en scène : Friedrich Meyer-Oertel.

L’Opéra-Théâtre d’Avignon poursuit sa découverte des œuvres majeures du répertoire du XXème siècle et présente pour la première fois dans ses murs un opéra tchèque de Janáček injustement oublié : Jenufa.

Jenufa est l’histoire d’une sombre affaire familiale et d’un infanticide, inspirés semble-t-il d’une histoire vraie. Le drame se déroule au XIXème siècle dans le microcosme d’un petit village de Moravie empreint de religion et de morale traditionnelle. Jenufa aime Steva, son cousin volage, et porte en secret un enfant de lui. Sa belle-mère, dite la Sacristine, autoritaire et garante de la bonne morale dans le village, s’oppose au mariage. Laca, demi-frère de Steva, aime Jenufa. Par dépit amoureux il la blesse au visage et la défigure.

Lorsque né l’enfant, caché par la Sacristine, celle-ci ne parvient pas à convaincre Steva d’épouser Jenufa désormais laide à ses yeux.
Laca aime toujours Jenufa mais hésite à prendre en charge le fils de son rival. La Sacristine prétend alors que le bébé est mort et le projet de mariage est conclu. Afin de sauver son honneur et le bonheur de Jenufa, elle décide de noyer le nourrisson sous la glace du ruisseau. Elle annonce à Jenufa, effondrée, la mort naturelle de son enfant et la convainc de prendre Laca pour époux.

Le jour des noces le village s’apprête à festoyer. On annonce alors la découverte du corps d’un nourrisson lors du dégel du ruisseau. Le village accuse Jenufa mais la Sacristine, rongée de remords, révèle toute la vérité. Jenufa comprend que ce geste a été dicté par l’amour et accorde son pardon avec compassion. Elle prend alors conscience de son amour pour Laca, né dans la souffrance, et envisage avec lui un nouveau départ dans la vie.

Les personnages sont criants d’humanité et de réalisme. On est loin des héros romantiques. Les sentiments sont complexes, contradictoires, passionnés, toujours soumis à la morale villageoise, à la religion et à l’ordre établi. Le sujet s’attaque clairement à la morale traditionnelle et à l’obscurantisme.

La musique de Janáček est naturelle, directe et efficace. Elle évoque en permanence le drame et la force des sentiments et accentue la sincérité et l’humanité des personnages. Son style semble hérité du romantisme, revisité par le réalisme et l’âme slave et s’inscrit dans les mouvements modernistes du début du XXème siècle.

L’Opéra-Théâtre d’Avignon reprend ici une production de l’Opéra National de Bordeaux. Balázs Kocsár, chef hongrois que découvre Avignon, tire force et expressivité de l’orchestre de l’Opéra et a su trouver équilibre et complémentarité entre les voix et l’orchestre. La mise en scène de Frédéric Meyer-Oertel est réaliste, peut-être un peu trop sage au regard de ce drame violent, mais contribue à la crédibilité des personnages. Les costumes sont traditionnels et se rattachent à la mémoire commune de la paysannerie des pays de l’est au XIXème siècle.

Le premier acte se déroule dans le paysage vallonné de la campagne morave. Un grand champ de blé doré et récemment moissonné évoque les grands espaces ruraux mais peut-être aussi la sécheresse des âmes. Lorsque se noue le drame, au deuxième acte, le champ de blé est surmonté d’un plafond en grosses poutres de bois, sans doute la grange du moulin, qui crée une atmosphère oppressante, évoque le poids des conventions et accentue l’isolement des personnages et de la société villageoise toute entière. On retient également un choix judicieux des éclairages et des couleurs du décor et des costumes qui, dans une recherche esthétique, sont toujours cohérents avec l’atmosphère de l’action.

La distribution est de qualité et homogène. Christina Dietzch-Carvin incarne une Jenufa touchante, fragile mais renforcée par les épreuves de la vie, tour à tour amoureuse, pieuse, mère aimante et déchirée par la perte de son enfant, et enfin renaissante par le pardon et l’amour. Sa voix de soprano dramatique est puissante, expressive, fait penser aux interprétations wagnériennes et traduit les sentiments multiples et complexes du rôle.

Géraldine Chauvet est une Sacristine d’une grande autorité morale et religieuse, dure mais sensible et marquée par la vie. Machiavélique et effrayante dans son infanticide raisonné, elle inspire la pitié dans son repentir qui l’amène à sombrer dans la folie. Très bonne actrice, avec un timbre de voix clair et expressif, elle constitue le pivot de l’opéra. Citons également les ténors Florian Laconi et Martin Miller, irréprochables dans les rôles respectifs de Steva, séducteur et volage, et de Laca, amoureux passionné de Jenufa depuis toujours.

Jenufa aborde des thèmes universels et intemporels avec une grande modernité. Les personnages sont vrais et profondément humains avec tout ce que cela comporte de beautés et de laideurs de l’âme, d’aliénations, de volonté de vivre et de besoin d’aimer. Comment oublier le moment où la Sacristine, sur le point de commettre son horrible infanticide libérateur, justifie son geste en pensant au regard de Dieu qui saura pardonner ce crime dans la mesure où « Dieu sait mieux que personne comment va le Monde » ? Ce n’est plus le Monde de Dieu, c’est celui des hommes avec tout ce qu’il comporte de lâcheté, d’égoïsme, parfois d’horreur.

L’opéra se termine sur un duo entre Jenufa et Laca porteur d’espérance. La vie reprend le dessus. L’amour triomphe mais celui-ci est basé sur la souffrance, le pardon, la force du sentiment et la foi en l’avenir. Ce n’est plus l’amour passion que Jenufa portait à Steva. C’est un amour « qui contentera Dieu ».

Il faut bien trouver une issue pour continuer à vivre ! Même si celle-ci passe par le compromis, le sacrifice et la douleur. Quoi de plus humain ?

JLB

Photo DR

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