SABURO TESHIGAWARA « OBSESSION »
« Obsession » Saburo Teshigawara / Théâtre de Nîmes / mercredi 21 Mai 2014.
Une femme est debout sur une chaise. La chaise est éclairée par en dessous, la femme par au dessus, les deux sont mises à jour par la lueur d’une simple ampoule. C’est beau et tendre à la fois.
Obsession, la dernière création du chorégraphe japonais Saburo Teshigawara est une œuvre très personnelle. Non content de seulement chorégraphier, Teshigawara est aussi l’un des deux interprètes. Mais il assure aussi la scénographie, les costumes et les éclairages. Ce jeu d’éclairage est d’une simplicité déconcertante, la fiche technique du spectacle doit tenir dans un mouchoir de poche mais l’intelligence des procédés, leurs portées et la complexité dramaturgique du spectacle rendent cette simple évidence d’une force et d’une signifiance bluffante.
Cette lumière, qui revêt une importance capitale dans le propos de Teshigawara, crée des images arrêtées, des photographies instantanées là où le corps est constamment en mouvement. Car bien plus que sculpter les corps, elle les crée.
Ses éclairages font des images arrêtées quand le corps est, lui, en perpétuel mouvement. Ce mouvement, qui peut être réalisé plusieurs fois à l’identique, crée toute une série d’images, de fantasmes qui évoqueront tout et son contraire si les gestes sont posés sur du noise ou sur de la musique européenne dite classique.
Le corps vit avec la musique qui souvent donne l’impulsion au corps, on y retrouve là certainement l’assise classique du chorégraphe qui part du matériau sonore pour composer son mouvement. Tantôt ralentissant, tantôt suivant cette musique, l’osmose image/son crée chez le spectateur une emphase, notamment avec la danseuse Rihoko Sato, qui tient le plateau une heure durant avec toute la puissance d’une interprète d’envergure internationale.
Si Carolyn Carlson a chorégraphié Writings on water, Teshigawara écrit sur l’air et les mouvements qu’il impulse ne manquent que d’un pinceau pour calligraphier l’espace. Ce sont bien les calligraphies corporelles qui inventent une scénographie, beaucoup plus complexes que les quelques chaises bien réelles qui hantent l’espace.
Les corps des deux danseurs se définissent autrement que par les codes sexuels occidentaux. On est bien plus loin, bien plus haut, bien plus fort dans la symbolique. Ce sont des monstres combattant à la fois hommes et femmes, à la fois simplement humains et fortement mythiques. Combat de l’ombre et de la lumière, sans cesse, la luminescence enfante la laideur et le calme gronde dans l’ombre. Bonjour, ici la catastrophe, ne faites pas attention, ce n’est que moi. Nous voici plongés dans le sexe de l’ombre pour une orgie de l’apocalypse nouvelle et joyeuse.
Teshigawara prend la racine des choses, puise dans une terre universelle son inspiration qui porte le spectacle bien au delà des oppositions banales mouvement/arrêt, mal/bien, nature/culture, conscient/inconscient etc. Il s’attaque au cœur même de l’humanité et c’est pour cela qu’il nous touche tous autant que nous sommes. La réelle opposition de ce spectacle se joue dans les directions, dans la lutte entre verticalité et horizontalité. Cette dichotomie permanente empêche la direction (et crée donc l’apocalypse) puisque le corps se dirige à la fois à droite à et à gauche et veut à la fois aller de l’avant et de l’arrière. Cette multiplicité des directions explose la danse qui devient spasme.
Tout, dans ce spectacle est question de parallèles. Tout fonctionne en référence, en miroir. Et donc en contradictions. C’est aussi ce qui en fait un spectacle extrêmement complexe, dense, important. Il est à la fois très performatif (la prestation des danseurs est remarquable et peu savent faire ce qu’ils font) sans être follement virtuose. C’est très dansé sans être follement chorégraphique. Tout est paradoxe : dur, rude, violent et malgré tout très tendre et très humain.
Les corps bougent, changent à l’intérieur, mais restent imperturbables. Le point de mire est toujours inatteignable, l’humanité est coincée dans sa condition du mouvement.
Bruno Paternot
Obsession
Compagnie Karas
Chorégraphie, scénographie, éclairages, costumes Saburo Teshigawara
Compilation de musiques Saburo Teshigawara
Sonatas for Solo Violin OP27 d’Eugene Ysaÿe,
Réalisées par Fanny Clamagirand (Ysaÿe Records)
Avec Saburo Teshigawara et Rihoko Sato
Photos Emmanuel Valette























