FESTIVAL D’AVIGNON. « LA DISTANCE », UNE DYSTOPIE ? PAS SÛR…

79e FESTIVAL D’AVIGNON. « La Distance » – Tiago Rodrigues – L’Autre Scène, Vedène – du 7 au 26 Juillet à 12h – et le 9, 12, 16 , 19 à 12h et 17h30.
Tiago Rodrigues, actuel Directeur du Festival d’Avignon revient cette année avec un texte sombre et futuriste mais pourtant bien ancré dans un monde actuel en proie au changement. En premier lieu un changement climatique dont les effets se font ressentir un peu plus chaque jour mais aussi un changement relationnel et générationnel dans un contexte où durant des milliers d’années l’homme à toujours eu ce sentiment que les aînés avaient œuvré pour les progrès futurs alors que la jeunesse actuelle semble de plus en plus reprocher aux anciens le chemin pris et tout le mal qu’ils ont infligé à notre planète.
Tiago Rodrigues nous projette alors vers un monde futuriste mais pas si lointain, juste assez pour que celui-ci nous paraisse très proche de nous en admettant que l’homme puisse coloniser Mars. Ali , formidable Adiama Diop, est médecin dans un hôpital sans moyens, le costume élimé aux manches mais toujours élégant. Il a élevé seul sa fille Amina, Alison Deschamps, dans un monde pourri jusqu’à l’os par la pollution et qui a basculé, les riches vivant au sein d’états privés et les quelques républiques restantes sombrant dans le chaos, au gré des effondrements successifs. Amina est consciente que l’avenir n’est plus sur terre, elle décide de partir vivre sur mars afin de donner vie à une autre civilisation, faisant table rase de tout et de tous. Seule obligation irréversible, une fois le protocole lancé rien ne relira plus le père et sa fille, tout sera effacé, oublié. On les appelle les « Oubliants ».
Le metteur en scène ne recrée pas un monde en chaos sur scène ou une planète mars futuriste mais s’attache plutôt à décortiquer cette urgence de dialogue entre deux êtres maintenant éloignés par des millions de kilomètres. Sur scène un plateau tournant entraîne les deux protagonistes dans une ronde interstellaire où l’un est l’autre s’envoient des messages justifiant leurs actes ou tentant de les expliquer. D’un coté un père désireux de montrer que la beauté est encore possible dans un monde aux abois et que seule une humanité gardant sa mémoire peut devenir meilleure. D’un autre sa fille persuadée d’avoir pris la bonne décision et convaincue que seule la construction d’une société sans mémoire peut éviter de refaire inlassablement les mêmes erreurs répétées depuis des millénaires par l’humanité.
La tension palpable au sein du public monte au fur et à mesure que le père et sa fille s’éloignent, que la distance les séparant n’est plus celle entre la terre et mars mais bien celle entre deux cœurs que les choix éloignent et déchirent. Une séparation qui atteint son paroxysme avec un père conscient d’avoir perdu sa fille mais toujours plein d’amour dans les yeux et heureux que ce soit son choix, même si celui-ci lui semble une folie. Les deux comédiens offrent un jeu d’un justesse époustouflante et d’une trompeuse facilité dans cette scénographie tournoyante, astucieuse mais demandant une maîtrise parfaite du tempo.
Tiago Rodrigues touche et le public debout applaudit longtemps ce beau et sensible moment de théâtre futuriste mais si proche de nous qu’il en devient d’autant plus plausible.
Pierre Salles
Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon





















