FESTIVAL D’AVIGNON. « LES INCREDULES », UN SUPERBE OPERA FANTASQUE DE SAMUEL ACHACHE

.
79e FESTIVAL D’AVIGNON. « Les Incrédules » – Livret et mise en scène :Samuel Achache – Composition : Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang – Direction musicale : Nicolas Chesneau – Opéra Grand Avignon à 17h00 – durée : 2h10
Quel merveilleux spectacle pour ces derniers jours passés au Festival d’Avignon ! Samuel Achache convoque la poésie, l’inattendu et l’espièglerie dans cet opéra fantasque et fantastique. A la baguette, Nicolas Chesneau dirige l’orchestre de l’Opéra de Nancy-Lorraine, 52 musiciens en fosse et quelques autres sur scène, flanqués d’une sorte de harpe mécanique qui génère des sons aléatoires, sonnant le temps qui passe, qui rythme et donne vie au livret de Samuel Achache.
Une jeune femme apprend par téléphone la mort de sa mère qui au même instant entre chez elle, belle, jeune et apparemment bien vivante. Sur cette base inexplicable, Samuel Achache déroule le sens de la vie et toutes ces choses inexpliquées que le metteur en scène a récoltées lors de différents interviews pour pouvoir nous offrir cet opéra jouissif et souvent loufoque mais toujours empreint d’un délicieux parfum onirique qui ne peut qu’emporter avec lui les spectateurs dans un instant suspendu de douce rêverie.
Sur scène, les rôles de la mère et de la fille sont doublés, une chanteuse et une comédienne pour chaque partie, apportant encore plus de bizarrerie à la création, frôlant parfois un film de David Lynch ou la poésie de Wim Wenders et teintée d’un élan burlesque assumé. Jusqu’au-boutiste dans la forme et le fond, Samuel Achache passe de différents tableaux, souvent assez réalistes au commencement, à une sorte d’abysse les happant inexorablement vers l’absurde, faisant franchement rire même quand un médecin légiste est en train de découper le cœur de la mère décédée, mais bien vivante ici, pour pouvoir expliquer cette mort subite.
Ce type de spectacle laisse toujours un drôle de goût dans l’âme de qui les regarde, comme une plénitude incomplète avec laquelle il faut jongler pour ne pas tenter de tout comprendre mais juste se laisser porter. La composition de Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang et le jeu des musiciens s’entremêle avec élégance avec chaque mot et chaque silence des comédiens sur scène. Une partition riche qui peut surprendre les moins habitués à ce type de musique contemporaine et composée comme une musique de film, directement au service de l’action, qui assène et porte l’action avec force. Les compositeurs font la part belle aux cuivres et aux percussions en créant une atmosphère mystérieuse et un peu anxiogène.
Le parlé et le chanté sur scène n’ont que rarement été si intimement mêlés et tout devient prétexte à enchanter toujours un peu plus mais sans donner les clefs d’une explication qui serait trop linéaire ou trop simple, par petites touches.
Samuel Achache tente d’éclairer le chaos dans lequel chaque être humain évolue et se débat pour garder la tête hors de l’eau. Dans cet Ovni théâtral et musical, rien n’est imposé mais tout est suggéré, laissant à chacun le soin de faire son propre chemin parmi tous ceux proposés. Ici tout devient question de croyance insensée ou de rationalisation excessive mais c’est aussi avant tout l’histoire de ce manque d’amour d’une mère pour sa fille qui devient omniprésent au fil de cet opéra et atteint son paroxysme dans cette simulation terrible d’accouchement dans laquelle on s’adresse directement à l’enfant pour lui demander de ne pas naître.
Après le très beau « La distance » proposé par le Directeur du Festival d’Avignon Tiago Rodrigues qui mettait en scène un père et une fille séparés par des millions de kilomètres et des tonnes d’incompréhension, c’est au tour de Samuel Achache de séparer une mère et sa fille par la mort et, à son tour, de nous proposer ce merveilleux spectacle, une recherche dans l’évolution de l’opéra, tout à la fois profond, léger et qui fait terriblement du bien dans ce monde de chaos.
Pierre Salles


l
Photos C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon





















