« L’ORFEO » : PAULINE BAYLE ET JORDI SAVALL SUBLIMENT L’OPÉRA FONDATEUR DE MONTEVERDI

L’Orfeo – Opéra de Claudio Monteverdi créé le 24 février 1607 à Mantoue – Livret d’Alessandro Striggio – Mise en scène : Pauline Bayle – Direction musicale : Jordi Savall – Coproduction Opéra-Comique, Opéra Royal-Château de Versailles, Opéra Grand Avignon – Spectacle donné à l’Opéra Grand Avignon les 21 et 23 novembre 2025.

Après Don Giovanni l’Opéra Grand Avignon ne pouvait pas trouver mieux que L’Orfeo de Monteverdi pour illustrer sa saison lyrique consacrée aux grands mythes. Un opéra mythique et fondateur qui nous fait remonter le temps jusqu’aux sources de l’Art lyrique. Un opéra porté ici par Jordi Savall, légende vivante et pionnier de la musique ancienne qui a su exhumer des trésors et nous faire découvrir toute la richesse des instruments anciens. Un défricheur qui, à l’instar de Jean-Claude Malgoire, a redonné ses lettres de noblesse à une musique un peu oubliée et a amené nombre de mélomanes à se passionner pour la musique de la Renaissance et la musique baroque.

C’est par une ouverture éclatante, interprétée par cinq trombones surgissant des loges latérales de part et d’autre de la scène, que Monteverdi nous met le pied à l’étrier. Nous voilà plongés dans cette mythologie antique si familière où les hommes, les nymphes et les dieux, profondément humains, se côtoient et se comprennent. En guise de prologue c’est La Musique, personnage allégorique, qui est invitée pour évoquer les multiples pouvoirs de cet art sur les humains et nous parler d’Orphée dont le chant apprivoisait les bêtes féroces et qui fit céder l’Enfer par son chant et ses prières.

Enfin tout commence par une fête où nymphes et bergers chantent et dansent pour partager la joie d’Orphée et célébrer ses noces avec la nymphe Eurydice qui s’est si longtemps refusée à lui. Les chanteurs, pieds nus et revêtus de costumes d’une grande simplicité, amples et colorés, recouvrent le sol de bouquets de roses fuchsia. L’atmosphère est bucolique et printanière. Trois danseurs partagent cet enthousiasme dans une chorégraphie enjouée et élégante. Eurydice revêt sa robe nuptiale tombée du ciel. On s’embrasse et tout respire cet immense bonheur que l’on partage avec Orphée jusqu’au moment où une compagne d’Eurydice vient annoncer la mort de celle-ci, mordue par un serpent.

La mise en scène de Pauline Bayle est sobre mais efficace. La première partie qui évoque un monde des vivants festif et coloré, laisse place à un monde des Enfers sombre et froid lorsqu’Orphée, les yeux bandés et guidé par l’Espérance, porté par son amour et sûr de son pouvoir, part dans l’Au-delà à la recherche de sa bien-aimée.

Orphée, abandonné par l’Espérance, se retrouve ainsi sur les rives de l’Achéron, à la porte des Enfers. Sa confrontation au redoutable Charon, entouré de monstres noirs et rampants, produit des images en noir et blanc assez saisissantes dans un clair-obscur angoissant. Il en est de même du monde des Enfers peuplé de démons au crâne rasé, et de la supplication de Proserpine qui obtient de Pluton, le maître des Enfers, la promesse qu’Orphée puisse ramener Eurydice dans le monde des vivants à la seule condition qu’il ne se retourne pas.

Mais vaincu par son amour, son impatience et son orgueil Orphée perdra définitivement Eurydice. Un Orphée peut-être trop humain et passionné pour se dominer lui-même et vaincre la mort – « Seul celui qui se vaincra lui-même sera digne de gloire éternelle ».

On retrouvera plus tard Orphée seul et désespéré dans le monde des vivants, entouré d’une grande couronne de roses telle une couronne mortuaire et inconsolable devant la robe nuptiale d’Eurydice érigée comme une stèle. C’est enfin l’apparition d’Apollon dans un halo de lumière, revêtu d’une grande cape bleue, qui encourage Orphée surmonter sa douleur et à le rejoindre au ciel.

La direction d’acteurs et la gestion des chœurs trouve un bon équilibre entre les scènes festives et les scènes dramatiques. Le plateau, noir et nu, permet de concentrer l’attention sur le jeu des interprètes qui reste mesuré et cohérent avec l’expression musicale.

La distribution est homogène et les voix bien adaptées à la spécificité du chant baroque.

Orfeo est interprété par la Baryton italien Mauro Borgioni qui, dans un jeu mesuré mais passionné, prend quelquefois des airs de héros romantique. La voix est limpide, expressive et traduit tant la joie et la passion que le désespoir.

La soprano Marie Théoleyre incarne tour à tour La Musique et Eurydice. On retiendra la pureté de son interprétation dans le Prologue qui dévoile toute la poésie du texte d’Alessandro Striggio.

Salvo Vitale interprète Charon et Pluton à qui il prête toute la profondeur dramatique de sa voix de basse. On retiendra également Anna Reinhold dans les rôles de l’Espérance et de Proserpine et Furio Zanasi qui incarne un Apollon plein de compassion et de sagesse.

Le chœur de l’Opéra Grand Avignon sous la direction d’Alan Woodbridge est toujours à son meilleur niveau et confirme ses capacités d’adaptation à toutes les expressions musicales allant du baroque au contemporain.

Mais ce soir-là le public était surtout là pour Jordi Savall et son « Concert des Nations » qui, au travers de tous ses instruments anciens restitue à merveille la musique incomparable de Monteverdi, dans tout ce qu’elle porte de raffinement, de beauté, d’expressivité et d’émotions. Un Jordi Savall au regard profond et serein de vieux sage, à la gestuelle sobre et élégante, sans doute plein de compassion pour son magnifique orchestre et de patience pour ce musicien qui tardait à accorder sa théorbe ce soir-là.

Ravi de redécouvrir cette œuvre immortelle de Monteverdi sous la baguette de Jordi Savall et de remonter aux origines de l’opéra au travers des timbres incomparables d’instruments d’époque, le public avignonnais réserve une vive acclamation à cette production de l’Orfeo qui se situe incontestablement au plus haut niveau de l’art musical du XVIIème siècle.

Jean-Louis Blanc

Crédit photos : Barbara Buchmann

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