ART CONTEMPORAIN AU JAPON : SUR L’ÎLE DE NAOSHIMA

REPORTAGE : Art contemporain au Japon sur l’île de Naoshima.

Au Japon, l’île de Naoshima est dédiée à l’art contemporain. Elle est l’idée de Soichiro Fukutake collectionneur d’art contemporain mais aussi patron d’un groupe d’édition scolaire (Benesse Holdings Inc.) : les lieux ont commencé à ouvrir à la fin des années 1980 et, alors que certains viennent au Japon pour les pèlerinages que l’on peut y faire, Naoshima est devenu le pèlerinage des afficionados de l’art contemporain et les lieux continuent d’ouvrir (le prochain ouvrira en 2013).

Elle fait partie d’un archipel : deux autres îles sont aussi dédiées à l’art contemporain, Inujima et Teshima. Étonnant non, de trouver de l’art contemporain ici plutôt qu’à Tokyo ? Soichiro Fukutake explique : « Je me suis mis à percevoir les métropoles comme des endroits monstrueux où les êtres humains vivent détachés de la nature et ne cherchent qu’à attiser leurs désirs ». Cette île répond à cela et fait se rencontrer en un même lieu art et nature. Là, le visiteur peut prendre le temps, observer, profiter, contempler et vivre l’art dans des conditions idylliques…

Sur l’île de Naoshima, au port de Honmura, il y a l' »Art House Project » : quatre maisons typiques japonaises, un temple et un autre bâtiment ont été investis par des artistes qui y ont mis en place des installations artistiques.

C’est le cas avec « Go’o Shrine », un temple en plein air qui a été réhabilité par le photographe japonais Hiroshi Sugimoto en 2002 : les marches d’escalier qui s’élèvent du sous-sol vers la surface et le temple ont été remplacées par des blocs en verre optique. Cet endroit est à la fois étrange et paisible, il s’agit d’un lieu quelque peu surréaliste, une impression de quelque chose de pur et de divin qui invite au silence, au recueillement et à la méditation. Les visiteurs présents y ont jeté une pièce et fait une prière : ce n’est pas parce que ce temple a été transformé par un artiste contemporain qu’il perd son but premier. Au contraire, il le retrouve, les visiteurs se promènent et le cherchent afin de le visiter.

La maison « Ishibashi » a été investie par l’artiste japonais Hiroshi Senju qui y a réalisé de grandes peintures murales. Dans l’une des salles, le sol recouvert de tatamis, les portes sont peintes : un paysage de forêt y apparaît progressivement dans un jeu de nuances de gris et, dans une autre pièce des chutes d’eau peintes se reflètent sur un sol laqué noir. Ces œuvres invitent à la contemplation : si on le souhaite, on peut rester et observer. En outre, comme souvent dans les habitations japonaises, quand on entre, on enlève ses chaussures, comment, alors, ne pas se sentir invités à rester ?

Un autre lieu est à visiter sur ce port, il s’agit de celui consacré à James Turrell dans une architecture de Tadao Ando. La particularité des œuvres de James Turrell est qu’elles s’expérimentent avant toute chose : ici, on est immergé dans une pièce plongée dans le noir le plus complet. Il faut alors attendre entre 5 et 10 minutes que notre vue se familiarise à cette opacité et que l’on voie enfin ce que l’on était sensés voir. Le noir se transforme progressivement, une couleur apparaît dans un rectangle au fond de la pièce. James Turrell est un artiste dont le matériau de base est la lumière qu’elle soit artificielle ou naturelle : il joue avec elle et se joue de nos perceptions en des invitations à observer son environnement et, pour une fois, prendre le temps. Combien de personnes passent moins d’une minute devant une œuvre quand ils visitent une exposition ? On ne prend pas le temps de voir, d’observer, on vit à cent à l’heure de telle façon à oublier qu’il est important de s’accorder des moments de paix, de repos et d’attention, à soi et à ce qui nous entoure. Turrell nous propose de faire cela…

Le Chichu Art Museum est une réalisation de l’architecte Tadao Ando : c’est un bijoux d’inventivité, d’imagination, de beauté et d’harmonie. Ce musée est enterré ce qui est la traduction du mot japonais « Chichu » : on y entre en s’enfonçant dans les profondeurs de la terre. Et, alors que le bruit est continuel dans ce pays, on entre dans un lieu où règne le silence, mais aussi le vide. Ce musée est un écrin consacré à uniquement trois artistes : Claude Monet, Walter de Maria et James Turrell : tout est mis en place et en scène de telle façon à ce que l’observation des œuvres soit un moment exceptionnel. Sur plusieurs étages, la lumière est partout. On est sous la terre mais la lumière extérieure et le ciel sont des éléments fondamentaux de deux œuvres. La première est de Walter de Maria : on entre dans une pièce immense au centre de laquelle est posée une monumentale sphère en granit noir. Au-dessus, il y a une vitre au travers de laquelle on peut voir le ciel qui se reflète dans cette sphère. C’est comme d’entrer dans une cathédrale : on est invité à se recueillir et à contempler, instant de grâce sous le ciel bleu japonais.

Ce ciel, on le retrouve dans une pièce à ciel ouvert consacrée à James Turrell : le tableau, c’est ce ciel et on peut passer autant de temps qu’on le souhaite à, simplement, l’observer défiler au-dessus de nos yeux. Ce n’est pas la seule œuvre de Turrell que l’on peut voir au Chichu Art Museum, il y en a deux autres. Tout d’abord, un monochrome de lumière bleue que l’on peut voir dans le coin d’une pièce mais le plus grandiose c’est peut-être la dernière. Comme dans de nombreux temples au Japon, nous sommes invités à retirer nos chaussures et enfiler des chaussons avant d’entrer dans une pièce au bout de laquelle se trouve un monochrome de lumière bleue : cette lumière rayonne dans tout l’espace, il s’agit d’une véritable immersion dans l’art et la lumière.

La dernière salle est consacrée au seul artiste non contemporain mais impressionniste : Claude Monet. Dans une pièce blanche, il y a cinq œuvres issues de la série des « Nymphéas » : le sol est recouvert de petits cubes de marbre blanc, les murs sont immaculés, tout est fait pour que les œuvres soient mises en valeur : un écrin pour ces œuvres.

Il y a d’autres structures d’art contemporain, un hôtel-musée, un onsen revisité par un artiste contemporain etc. Et aussi, au bout de la jetée de la plage Benesse, se dresse, monumentale, une citrouille de Yayoi Kusama : artiste japonaise née en 1929, Yayoi Kusama a la particularité de mettre des pois dans une majorité de ses œuvres qu’il s’agisse d’installations, de peintures ou de performances. En marge des courants artistiques contemporains, elle débute sa carrière au Japon où elle commence à inclure des Dot ou points dans ses œuvres. Le phénomène se généralise à New York où elle émigre pensant ne pas avoir d’avenir en tant qu’artiste femme dans le Japon de l’après Hiroshima. « Ma vie est un pois perdu parmi des milliers d’autres pois » écrit Kusama, un pois lumineux ou non qui interagit avec d’autres pois, chaque pois vivant en relation avec les autres, Yayoi Kusama nous transporte dans son monde où la figure du point est démultipliée à l’infini, elle nous perd dedans et se perd dedans et, la citrouille jaune à points noirs de Naoshima est très représentative de l’œuvre de Yayoi Kusama.

Cécile R.

Photo 1: Vue depuis Benesse Beach sur l’île de Naoshima / Photo: CR
Photo 2: Go’o Shrine, Hiroshi Sugimoto, 2002 / Photo: CR
Photo 3: Go’o Shrine, Hiroshi Sugimoto, 2002 / Photo: CR
Photo 4: Ishibashi, Hiroshi Senju, 2006 / Source: internet
Photo 5: Minamidera, James Turrell dans une architecture de Tadao Ando, 1999 / Photo: CR
Photo 6: Chichu Art Museum. Source: internet
Photo 7: Walter de Maria au Chichu Art Museum. Source: internet.
Photo 8: James Turrell au Chichu Art Museum. Photo: CR
Photo 9: Les Nymphéas de Claude Monet au Chichu Art Museum. Source: internet
Photo 10: Yayoi Kusama, Yellow Pumpkin / Photo: CR

Comments
One Response to “ART CONTEMPORAIN AU JAPON : SUR L’ÎLE DE NAOSHIMA”
  1. Bonne présentation de Benesse Art Site Naoshima, mais un peu incomplète.
    Pas un mot sur le Benesse House Museum (plus ou moins la pierre angulaire de Naoshima), ni sur le Lee Ufan Museum. Un peu dommage.

    Je me permets aussi une petite correction, le Art House Project inclut à ce jour sept maisons, pas quatre: Ishibashi, Gokaisho, Kadoya, Haisha, Go’o Shrine, Minamidera et Kinza.
    À noter aussi qu’il s’étendra sur Teshima à partir de mars prochain avec la Setouchi Triennale 2013 (qui comportera bien plus encore). J’espère que vous aurez l’occasion de vous y rendre

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