INTEMPORELLE TRAVIATA !

opera avignon

OPERA-THEATRE D’AVIGNON : La Traviata / Opéra de Giuseppe Verdi créé à la Fenice de Venise le 6 mars 1853. / Représentation de l’Opéra-Théâtre d’Avignon du 28 novembre 2012. / Direction musicale : Luciano Acocella / Mise en scène : Nadine Duffaut / Violetta : Patrizia Ciofi ; Alfredo Germont : Ismaël Jordi ; Giorgio Germont : Marc Barrard.

Après une ouverture de la saison lyrique par un Orfeo plein de fraîcheur, Raymond Duffaut, directeur artistique de l’Opéra-Théâtre d’Avignon, nous ramène vers les grands drames romantiques du XIXe siècle avec une nouvelle création de la Traviata.

Verdi, sur un livret de Piave, redonne vie à l’héroïne romantique et éternelle de la « Dame aux Camélias » d’Alexandre Dumas : Violetta, courtisane du Tout-Paris, atteinte de phtisie, consume ses dernières forces à jouir de la vie dans les salons parisiens. Elle y rencontre Alfredo Germont dont elle tombe tout de suite amoureuse et avec qui elle fuit sa vie de plaisir pour se consacrer à sa passion. Le père d’Alfredo, Giorgio Germont, soucieux de protéger l’honneur de sa famille et le mariage de sa fille de la réputation sulfureuse de Violetta, l’incite à quitter son amant.

Alfredo, qui ignore tout de ce triste arrangement, sombre dans le désespoir et revient finalement au chevet de Violetta, mourante, conscient du sacrifice de celle qu’il aime, pour entendre une nouvelle déclaration d’amour avant de la recueillir, morte, dans ses bras.

Cette nouvelle interprétation est marquée par le sceau de Patricia Ciofi qui atteint le sommet de son art dans ce rôle de Violetta qu’elle connaît si bien et qui lui colle à la peau. L’opéra tout entier repose sur elle. On ne voit qu’elle tant elle s’identifie à ce personnage mythique dont elle dévoile toute la complexité par sa voix nuancée et ses talents d’actrice. Elle est la Traviata !

La voix est sûre, expressive, limpide et modulable à souhait. Tour à tour tendre et poétique dans son amour naissant pour Alfredo, passionnée et charismatique dans sa recherche de jouissance, délicate et fragile face à Germont père, dramatique, brisée et émouvante au crépuscule de sa vie. Ciofi met à nu les sentiments complexes de Violetta jusqu’à tomber morte, affalée sur son piano, après un sursaut d’espoir lancé comme un défi à la mort dans une interprétation bouleversante.

Difficile pour ses partenaires de faire face à la diva ! Ismaël Jordi a du mal à s’imposer dans le rôle d’Alfredo. On le sent mal à l’aise et emprunté dans son jeu de scène. Son timbre nasal s’harmonise peu avec la pureté vocale de Ciofi. Marc Barrard incarne un Germont solide et convaincant, parfois sensible.

Belle prestation des cœurs et de l’Orchestre Lyrique de Région Avignon-Provence sous la baguette inspirée de Luciano Acocella, sans doute impressionné et galvanisé lui aussi par cette Violetta si fascinante.

Nadine Duffaut signe là une mise en scène néoréaliste, très classique et sans surprise dans la forme. L’originalité réside dans le fait que l’action est située sous l’Occupation allemande. On peut dire à son corps défendant que le réalisme des décors et des costumes contribue à évoquer l’époque de manière saisissante. Les fêtes mondaines se situent dans les salons parisiens de l’hôtel Lutetia de sinistre mémoire, sous l’œil inquisiteur d’officiers nazis.

On imagine facilement Violetta tombant dans les bras d’officiers allemands dans sa recherche de plaisir sans vergogne et la bourgeoisie parisienne s’accommodant aisément de la présence de l’occupant.

Dans ce contexte, Giorgio Germont apparaît comme un bourgeois bien-pensant, bigot, peut-être collabo, pas tout à fait mauvais, capable de compassion mais étouffé par l’esprit vichyste de l’époque, soucieux de la réputation de sa famille et de son intérêt financier. Comportement intemporel d’un esprit bourgeois, étriqué, intolérant, auquel est sacrifiée Violetta et qui fait songer aux vers de Brassens : « Non les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux… ».

On retrouve Violetta au dernier acte, quelques années plus tard, blême, moribonde, les cheveux courts. La vidéo d’un défilé de femmes tondues à la Libération rompt la tension dramatique de la scène. Elle est superflue. On a compris que Violetta a été tondue pour ses fautes passées, victime cette fois des bien-pensants de la Libération. Ses retrouvailles pathétiques avec Alfredo et sa mort n’en sont que plus poignantes.

On retiendra longtemps de cette Traviata ce personnage fascinant, en quête d’absolu et pitoyable qu’incarne admirablement Patrizia Ciofi et cet anachronisme bienvenu qui apporte un nouvel éclairage et qui souligne l’intemporalité de cet opéra.

JLB

traviata 1

traviata 2

Laisser un commentaire

  • Mots-clefs

    Art Art Bruxelles Art New York Art Paris Art Venise Biennale de Venise Centre Pompidou Danse Festival d'Automne Festival d'Avignon Festivals La Biennale Musiques Opéra Performance Photographie Théâtre Tribune
  • Archives