FESTIVAL D’AVIGNON : « NEANDERTAL », VOUS AVEZ LES MONTRES, ON A LE TEMPS

77e FESTIVAL D’AVIGNON : « Neandertal » – David Geselson – L’autre Scène du Grand Avignon – 6 – 12/07 2023.

Vous avez les montres, on a le temps.

Chaque année, le Festival d’Avignon présente son lot de fictions et dystopies. Des fleuves comme 2666 de Julien Gosselin, des moins longues comme Fraternité de Caroline Guiela Nguyen et des plus courtes comme ce Neandertal, librement inspiré de l’autobiographie du chercheur suédois Svante Pāābo « Neandertal, à la recherche des génomes perdus », qui dure deux heures trente, nous porte et nous transporte dans des univers qui se croisent, s’entremêlent, nous échappent et nous récupèrent… La dimension supplémentaire de ce Neandertal c’est l’humour de cette quasi-série qui nous tient en haleine et qu’on ne lâche pas une minute…

Déjà le début n’est pas banal… Un long dialogue dans le noir. Un échange caustique. Des névroses qui s’entrechoquent… Puis vient la lumière et on est – c’est un peu la mode dans les spectacles en ce moment, l’influence du théâtre documentaire sans doute – dans une salle de conférence sur la biologie moléculaire, en 1986 à Sans-Francisco. Les comédiens font une communication scientifique de la plus haute importance. Ils exposent l’impact de la chute de météorites récemment tombées sur la ville et ce que l’étude de leur ADN a pu démontrer… On écoute sans être spécialiste. C’est un peu « les sciences pour les nuls », mais tout de même, on retient des chiffres, des tendances et des sigles comme ADN qu’on connaît et A.T.G.C. qu’on connaît moins, mais qui mènent les deux protagonistes à illustrer leur théorie sur la salle en associant le premier rang avec le second et ainsi de suite jusqu’à tomber sur « le regard critique », un couple qui est dans la salle au 9ème rang et qui est porteur de cette spécificité. Vont suivre des débats scientifiques de fond : est-ce que le lieu à des influences sur notre ADN ou l’inverse ? Dit comme ça, cela semble rasoir, mais le ton, le jeu, les ruptures, tout est sujet à plaisanterie avec la salle. C’est ce qui captive, comme un bon prof qui enseigne une matière chiante !

Ce qui rend ce spectacle attachant et fort, c’est l’intrusion du réel par le truchement de séquences vidéos qui rappellent les discours porteurs d’espoirs de Yitzhak Rabin et Yasser Arafat avec Clinton et les émeutes qui s’en sont suivies en Israël, l’agitation de l’opposition, déjà animée par Benjamin Netanyahou… et l’assassinat de Rabin par un extrémiste juif… Encore aujourd’hui, cela reste bouleversant et dans ce spectacle, outre le lien d’une des personnages à sa mère juive qui vit en Israël, cela relie à la théorie du spectacle sur le temps, sur le fait que, penchés sur notre propre moment, on en oublie qu’on est un instant infime aux yeux de l’humanité… Cela pose la question de Dieu et les débats entre Luca, Rosa, Ludo et Adèle sont vifs sur ce sujet aussi…

Après cette conférence, on distingue un laboratoire vitré à jardin, ultra protégé, dont on voit des machines en action, une caméra rétroprojette des images qui pourraient être des cellules en culture – magnifiques dessins abstraits et en mouvement de Marine Dillard… A cour, outre une grotte qui persiste et qui semble incongrue, mais dont on comprend qu’elle a un lien avec les premiers hommes – la grotte de Dante ? – il y a une table comme dans le vestibule d’un labo et surtout de la terre, de la tourbe qui donne un relief à cette scénographie parfaite qui fonctionne très bien, créant des espaces physiques et mentaux et le son joué en direct par le violoncelliste Jérôme Arcache ajoute à ce basculement poignant…

Pour chercher des os de Neandertal, l’histoire nous mène sur le lieu de conflits comme en Serbie où, là aussi, les choses ne vont pas de soi, les charniers, la manipulation de la vérité… Le tout entremêlé des drames des uns et des autres, des maladies neurologiques qui poussent Adèle à des états extrêmes… Un enchevêtrement d’actions trop longues à raconter mais palpitantes à vivre en salle, nous ramène à Sans Francisco en 2000. L’ambition guette. le besoin d’être le premier à avoir résolu la question de cet ADN pousse à faire des annonces hâtives, des embolies… on sort de là empli de cette histoire…

David Geselson qui joue lui-même, dirige parfaitement son monde. Le récit, bien que complexe, est rythmé. Il sait placer parfaitement le curseur et il nous guide dans son monde. Il étend son pouvoir sur nous et nous permet de vivre un vrai moment de théâtre, en communion, ce qui est le but de ce festival et c’est réussi !

Emmanuel Serafini

Photo C. Raynaud de Lage

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