« ASSEMBLY HALL »,CHRYSTAL PITE DEPLOIE UN OBJET SINGULIER ET NOVATEUR

Assembly-Hall-photo©Michael-Slobodian

Assembly Hall – Crystal Pite et Jonathon Young – Théâtre de la Ville Paris – Jusqu’au 17 avril 2024.

Après ses coups d’éclats à l’Opéra de Paris (Four seasons Cannon, Body and Soul) et dans la lignée de sa collaboration précédente avec Jonathon Young, Revisor, Crystal Pite chorégraphie un nouvel opus entre danse et théâtre. L’expérience est singulière et novatrice : les danseurs « parlent » littéralement en dansant chacune des répliques dites en voix off. Les corps se révèlent incroyablement expressifs. Au-delà de ce dispositif original, Assembly Hall offre une réflexion sur ce qui rassemble un groupe autour d’un projet, avec une mise en abime parfois déroutante. Une expérience à tenter, avec quelques très belles pièces dansées.

Tous les ans, l’assemblée générale de la « Quest Fest » (Fête de la Quête), se réunit pour faire le point sur les activités de l’association. Ce petit groupe s’occupe d’organiser chaque année une ré-incarnation d’un conte médiéval, véritable jeu de rôle avec princesse et chevaliers.

L’AG se tient dans un gymnase décrépit aménagé en salle des fêtes. Les chaises sont installées en demi-cercle. Les danseurs arrivent en tenue de ville, se présentent, prennent place. Leurs voix Off parlent tandis qu’ils dansent les mots, les expressions, les intonations. Très vite le spectateur se fait à cette drôle de gestuelle qui donne énormément de caractère à chacun. Les mouvements sont précis, les danseurs virtuoses, comme le révèleront les duos et solos de la deuxième partie : l’une se transforme en oiseau, l’autre en roi classique. Ces quelques instants sont magnifiques et font regretter qu’il n’y ait pas plus de danse pure.

Côté théâtre, le descriptif de la mécanique de l’Assemblée Générale est saisissant. Le formalisme est omniprésent, de l’agenda au positionnement de l’heure de la pause. Chacun a un rôle à jouer qu’il défend bec et ongles, président, vice-président, secrétaire, trésorier etc. Cette parodie d’un conseil d’administration ordinaire est d’autant plus cinglante que toutes ces procédures noient la question existentielle de l’association : peut-on continuer en étant déficitaire ? Le sujet est positionné en fin de séance, sans cesse repoussé. Il est extraordinaire de voir comment le groupe utilise les règles pour ne surtout pas adresser le problème principal, connu de tous et soigneusement évité.

Dans une mise en abime littérale, avec scène et rideaux montés sur le plateau, des fragments de la Quest Fest nous sont présentés. Le théâtre dans le théâtre est troublant, avec des jeux de rôles convaincants. La mort fait irruption dans la Quête, un chevalier est invité à sortir de sa passivité, autant de parallèles avec la vie de l’association. Les aller-retours ne sont pas toujours faciles à suivre, la personne à même de départager le vote final est aussi une victime de la Quest Fest, les deux histoires communiquent.

Qu’importe. Les tableaux sont superbes, l’interrogation est entière. Le spectacle laisse un sentiment de trouble sur ce qui s’est vraiment passé dans cette AG, en même temps qu’il dévoile la puissance de l’expression corporelle des danseurs.

Emmanuel Picard

Image : Assembly Hall – photo © Michael Slobodian

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