FESTIVAL D’AVIGNON. « EN ATENDANT » : REMEMBER ME

77e FESTIVAL D’AVIGNON. « En Attendant » – Anne Teresa de Keersmaeker – Cloître des Célestins.

Remember me

Ainsi, dix ans après, Anne Teresa de Keersmaeker revient au même endroit, le cloître des Célestins d’Avignon, pour (re)présenter En atendant, une pièce pour huit danseurs, deux musiciens et une chanteuse, quelques madrigaux et autres musiques médiévales qui obligent le spectateur à lâcher, lâcher toutes ses pensées pour être dans la danse et dans la communion avec les danseuses et danseurs, certains là à l’origine, d’autres nouveaux qui portent le flambeau d’une pièce limpide, claire, engagée de la chorégraphe flamande au sommet de son art.

Et, autant prévenir tout de suite le lecteur – spectateur, cette pièce est tout ce qu’il y a d’austère. Il ne faut pas s’attendre à quelque chose de spectaculaire puisqu’il n’y a pas d’autre décor que la terre du Cloître et d’autres artifices que les danseurs et la musique plus proche du classique que de Madona,… Aussi, il faut un peu s’accrocher, faire un effort pour ressentir pendant le spectacle toute la subtilité de la pièce. Il y a dix ans déjà, Anne Teresa de Keersmaeker était exigeante avec nous, avec les danseurs et, de fait, avec elle-même ; dites le bien autour de vous pour qu’il n’y ait pas de méprise…

Dès le début, d’ailleurs, on ne peut pas se tromper. Le flutiste Bart Cohen met plusieurs minutes avant de porter son instrument à la bouche. Il dompte les bruits de l’extérieur, cigales et autres sons bruyants et inutiles de la rue festivalière. Il capte notre attention pour dire que cela va commercer… et les premiers sons ne ressemblent en rien à ceux qu’on connaît de cet instrument à vent et qui ici porte bien son nom puisque ce dernier s’engouffre dans le métal le faisant à peine teinter. C’est déjà de toute beauté. Une chanteuse le rejoint à cour, pendant qu’une danseuse entre, elle, à jardin avec assez de décalage pour que notre regard perçoive bien et l’un et l’autre dans cet ordre. En bougeant à peine ses pieds, les mains glissées dans le dos, puis en face pour toucher le sol, la danseuse s’engage dans un duo subtil avec la musique. Deux danseurs, puis une danseuse entrent, venant composer dès lors un quatuor. Costumes noirs, sans fioriture, à part un jean et une paire de tennis verte, rien n’est fait pour distraire notre esprit.

Des courses à l’envers emplissent le monticule de terre qui sert de scène. Trois danseurs entrent à leur tour et  les instrumentistes aussi. La scène laisse place à la forme que Anne Teresa de Keersmaeker compose et décompose tout le long de la pièce, à savoir une longue ligne de 8 danseurs qui vont de cour à jardin et de jardin à cour, dans de petites courses folles, qui rendent d’un coup la chose rapide et vive. La poussière de la terre sert de fumée naturelle. Il y a un mouvement d’enroulé des épaules qui se multiplie sur scène. Des combats ou des luttes, seules, face à la terre surgissent. Une chaine humaine se forme au lointain jardin, bras devant, c’est juste magnifique.

On touche là à la première partie. Les corps se dénudent, les torses des hommes apparaissent et c’est le moment que choisit dame nature pour abaisser le soleil et nous faire entrer dans la nuit. Jusqu’au salut, aucune lumière artificielle ne viendra soutenir ce que font les danseurs et, de ce point de vue, il y a dix ans, Anne Teresa de Keersmaeker mettait en œuvre les restrictions écologiques en nous rappelant que naguère l’homme vivait avec la seule lumière du jour et lorsqu’elle était sombre, on n’y voyait rien, et sans doute on s’arrêtait…

Une écriture en ligne, corps astucieusement séparés, vont aller de cour à jardin comme pour réitérer cette marche du temps qui passe… dans un noir quasi définitif la pièce s’achève avec une Eve dépouillée de ses artifices et une sorte d’Adam, tel bacchus, se roulant dans la terre, au moment où l’on n’y voyait plus…

Aride mais non sans raison En atendant est d’une beauté et d’une nécessité primordiale pour renouer avec le monde et s’affranchir de ses artifices. Ici, pas de jeûnes alternatifs juste de la danse à regarder, une troupe parfaitement à son aise avec cette pièce qu’ils dansent sans forcer et qui nous a fait faire un bon de dix ans en arrière, ce qui ne peut que nous laisser émus et satisfaits. Un grand merci à l’ensemble Cour et cœur pour la musique de toute beauté… on peut faire revenir cette pièce dans dix ans, si je suis là, je reviendrais les voir, c’est sûr !

Emmanuel Serafini

Photo © Anne Van Aerschot

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