NOUVELLES IMPRESSIONS DE RAYMOND ROUSSEL, PALAIS DE TOKYO

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Nouvelles impressions de Raymond Roussel / Palais de Tokyo / Jusqu’au 20 mai 2013

Au cœur de Soleil froid, la nouvelle saison du Palais de Tokyo, palpite la puissance de l’imaginaire de Raymond Roussel. L’exposition qui lui est dédiée sort des sentiers battus et dégage des espaces insoupçonnés de liberté créative.

Le clin d’œil à l’ouvrage de Raymond Roussel Nouvelles impressions d’Afrique est évident. Mais le titre de l’exposition imaginée par François Piron en collaboration avec Marc Bembekoff fait également référence au deux volets antérieurs d’un projet plus vaste Impressions de Raymond Roussel, au Museo Reina Sofia à Madrid en 2011 et au Museu Serralves à Porto en 2012. Il s’agit d’une initiative curatoriale ambitieuse qui tente une cartographie de l’influence de ce génie fulgurant sur les artistes d’aujourd’hui. Pour ce faire, les commissaires d’exposition évitent l’écueil de l’hommage, sont attentifs aux résurgences et aux voies détournées de circulation des motifs, travaillent les plis de l’histoire de l’art du XXème siècle. Les œuvres qu’ils réunissent sont irréductibles à un seul thème, leurs connexions parfois surprenantes tissent une entité protéiforme, sorte de continent imaginaire foisonnant aux confins incertains, indéfiniment modulables.

La Camera Obscura Mobile, 1995 – 1996, de Rodney Graham devient l’outil idéal pour tenter d’appréhender ce paysage mouvant. D’un même geste, cette reconstruction d’une malle-poste américaine du début du XXe, transformée de surcroit en chambre noire, nous invite intimement au voyage et opère un radical renversement des perspectives qui influe durablement sur les dimensions à la fois optique et onirique de notre perception. Les premières images qui nous accueillent dans l’exposition sont hautes en couleurs et riches de détails, qu’il s’agisse de l’affiche d’une pièce d’après les écrits de Jules Verne ou des dessins spiritistes de Victorien Sardou.

En effet, Raymond Roussel considérait ces personnalités avec un grand respect. Il partageait avec elles le gout pour la science et la technique ainsi que pour les lettres et le théâtre. Ces deux orientations se conjuguent d’ailleurs avec une justesse particulière dans la figure de Camille Flammarion, pour lequel Raymond Roussel avait une adoration fétichiste, comme en témoigne un biscuit rapporté d’un déjeuner chez l’astronome qu’il fit enfermer dans un étui de verre et argent.

Les commissaires d’exposition emploient très pertinemment l’art du contre-point : à l’Etoile cosmique répondent les boites vitrées de Joe Cornell, mystérieux reliquaires enfermant jalousement des trésors éthérés ; la profusion de traits minutieusement exécutés sous emprise dans les dessins de Victorien Sardou fait résonner tout particulièrement les voix de l’installation sonore de Sabine Macher, danseuse et chorégraphe très attentive aux états du corps en situation d’écoute, qui s’est emparée de La Doublure — étonnant premier roman que Roussel a écrit à 19 ans — le proposant en première lecture à Marie Thérèse Allier et aux artistes en résidence à la Ménagerie de verre.

Une autre pièce immersive signée par André Maranha, Pedro Morais, Jorge Queiroz et Francisco Tropa, Tres Moscas, pensée initialement, au Musée de Porto, en tant que dispositif de performance, est sur le point d’entrainer les visiteurs dans les rouages de ses mécanismes complexes — grand verre couché, souris ravie, tambour à dessins, etc à l’appui — qui reprennent l’hermétisme et l’esprit de jeu qu’affectionnaient Raymond Roussel et Marcel Duchamp. Le parcours de l’exposition n’est nullement linaire et c’est une autre étoile, tondue sur la nuque du même Marcel Duchamp dans une photographie prise par Man Ray qui nous ramène à une nécessaire contextualisation.

Illustrations d’époque, éditions princeps de ses ouvrages, invitations à ses spectacles au Théâtre de la Porte Saint Martin, maquettes et livres d’artiste offrent une profusion d’informations sur Raymond Roussel — écrivain, poète, dramaturge, pianiste hors pair, médaillé d’or de tir au pistolet, voyageur féru parti sur les traces de Pierre Loti, inventeur de la roulote automobile de luxe, créateur de la « machine à lire », dessinateur de son propre monument funéraire au cimetière du Père Lachaise — et sur les échos qu’il a rencontré chez des artistes et penseurs qui ont marqué le XXème siècle, de Marcel Duchamp à Jean-Michel Alberola, en passant par Michel Foucault ou encore Jean Clair et Harald Szeeman, commissaires de l’exposition culte Les Machines célibataires en 1976. La pièce de Rodney Graham leur répond dans un unique geste simple et fort : L’étui pour Impressions d’Afrique embrasse l’œuvre et préserve son pouvoir insondable sur l’imaginaire.

Au cœur de l’exposition, Mind Study, 2011, bronze, acier, bois, la pièce monumentale de Mark Manders, artiste qui représente les Pays Bas pour l’édition 2013 de la Biennale de Venise, distille subtilement, patiemment, des essences rares, en attendant la fulgurante réanimation des trois gisants. Sa terrible charge narrative et l’élégance mystérieuse de ses formes vernaculaires opèrent le travail secret de l’œuvre au noir, permettent la synthèse fantasque, improbable d’autant de matériaux épars : ainsi les trésors collectés, répertoriés dans le cabinet d’ethnographie de Mathieu Kleybe Abonnenc, jeune artiste qui s’intéresse aux points aveugles de l’histoire récente, aux luttes passées sous silence, les gestes filmiques de Joao Maria Gusmao et Pedro Paiva qui redécouvrent la magie du cinéma des origines, à mi-chemin des reportages des Frères Lumière et du théâtre illusionniste de Méliès ou encore les résultats elliptiques de l’enquête de Jean-Michel Othoniel en 1992 pour retrouver la villa Locus Solus dont une photographie figure dans les archives Roussel retrouvées en 1989.

Plus que La hie ou encore Le diamant, sculptures réalisées par le pataphysicien Jacques Carelman en suivant scrupuleusement leur description par Roussel dans les chapitres II et III de Locus Solus, et qui témoignent de son gout pour le carnaval et le théâtre de foire, le dialogue entre Guy de Cointet et Mike Kelley se montre extrêmement fertile.

Les 14 objets scéniques de l’installation De toutes les couleurs (Comme il est blond), 1982, autant de décors et accessoires de performances de l’artiste français exilé sur la Côte Ouest, pourraient très bien être imaginés parmi les trésors refoulés de la caverne Kandor 10B (Exploded Fortress of Solitude), 2011, véritable théâtre de régression du trublion Mike Kelley qui nous a quitté en 2012.

Davantage que dans le film de Salvador Dali ou dans les vidéos pour la télévision de Jean Christophe Averty, c’est dans un tel espace indéterminé, grotte, tanière et forteresse à la fois, que se glisse et prolifère l’imaginaire qui a nourri les écrits de Raymond Roussel. Source de féerie et d’effroi, son énergie intarissable met en mouvement le moteur 2CV de Spatz von Paris, 2011, de Thomas Bayrle, machine qui transcende son essence célibataire en réalisant le mariage élégiaque entre les bruits de la société post-industrielle et la voix d’Edith Piaf.

Smaranda Olcèse

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visuels © ADAGP, Paris, 2013. Photos : André Morin / 1/ Mark Manders : Mind study -copyright Mark Manders  2/  Mike Kelley Kandon – copyright Mike Kekkey Foundation / Rodney Graham, Camera Obscura Mobile, 1995 – 1996, teck, métal, couverture en toile PVC, lentille de verre et écran, 143 x 193 x 114 cm, Collection Fonds régional d’art contemporain de Haute-Normandie, Sotteville-lès-Rouen

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