INTERMITTENTS : « TOUT CE QU’ON A OBTENU ET OBTIENDRA, C’EST PAR LA LUTTE »… L’ETE 2014 PROMET D’ÊTRE CHAUD !

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INTERMITTENTS DU SPECTACLE : « Tout ce qu’on a obtenu et obtiendra c’est par la lutte » : Chaud, l’été 2014.

« De toute façon, tout ce qu’on a obtenu et qu’on obtiendra, c’est par la lutte. Je rappelle que l’accord signé en 2003 n’a pas été réellement appliqué avant 2006. Il y a eu pendant trois ans des systèmes de rattrapages mis en place par l’Etat, qui ont récupéré 30.000 personnes. Mais on l’a obtenu par l’annulation des festivals d’Avignon, Aix-en-Provence, par la lutte donc. » Un représentant de la Coordination des Intermittents et Précaires.

Soudain, cela refait du bruit. Nous le savions que l’accord sur les annexes 8 et 10 allait être remis sur la table. Nous savons aussi plus ou moins que depuis 2003 une coordination des intermittents et des précaires travaille. Des gens, engagés, des artistes, des techniciens, des gens, qui pensent, qui n’ont rien lâché depuis dix ans. Elle travaille même fièrement et sans bruit cette coordination, et a pu présenter un projet de loi durant le mandat de Sarkosy qui était signé de députés de droite et de gauche. Retiré in extremis par le chef du gouvernement de l’époque comme c’est son droit edans la Vème République. Ce projet a continué d’être travaillé et revient au moment de la normale renégociation des accords sur les régimes de chômage avec des propositions techniques d’améliorations pour assimiler plus d’intermittents, améliorer l’indemnisation, et cela dans un soucis d’économie, etc. Pour tous ceux qui se sentent coupables et s’imaginent que leurs droits à l’intermittence seraient un grand luxe, il faut regarder cette vidéo de la coordination : http://www.youtube.com/watch?v=tC9ifnAumLM&feature=share

Le coup de force du Medef c’est de dénier tout cela brutalement.
Nous le savions, et cela vient.

Nous avons élu un soi-disant gouvernement de gauche qui serait soi-disant plus sensible aux problématiques de la culture et de l’art, sans parler de celles de n’importe quel salarié, et nous comprenons chaque jour que nous sommes entrés dans un no man’s man politique.

Soudain, le 13 février on a vu un représentant de la CGT sortir de la négociation de l’UNEDIC en déchirant un papier et nous prévenant que nous rentrions dans un rapport de force.

Dans cet entretien sur le vif, un représentant de la coordination, qui tient à demeurer anonyme parce qu’il s’exprime au nom de la coordination (la coordination n’a jamais souhaité mettre en avant qui que ce soit et c’est sa force), nous avertit. Aucune naïveté n’est permise.

Je préciserai ceci : nous sommes nombreux et pas des moindres à travailler sans même espérer jouir des annexes 8 et 10. Nous ne sommes pas coupables si nous ne gagnions pas nos vies en tant qu’artistes bien que nous le soyons, que cela soit dit et redit. La démocratie est un mouvement bien plus vaste que l’on ne croit. Mais soyons clairs : qui s’en lave les mains s’en va vers un mur où il n’y a aucun espace pour son sensible. Il ne faut pas tricher avec cela. Il y a plus de jeunes artistes que l »on ne pense qui rêvent sur les ressources du mécénat privé, qu’il sachent à quoi s’en tenir, le rôle de la danseuse (de la « pute esthétique du système ») les rongera avant même qu’ils en aient joui… Cette lutte qui s’annonce s’inscrit dans le cadre européen des dettes publiques et de la culpabilisation des citoyens pour faire de nous des assistés incapables de voter et penser. Vous sentez-vous coupables d’exister en désirant ?

Mari-Mai Corbel. 16 février 2014

Une assemblée générale a lieu ce lundi 17 février au théâtre du Rond-Point à 19H. Les négociations des 27 février et 13 mars prochains vont donner lieu à des actions et manifestations. Toutes les info sur le site de la coordination qui sont des gens qui depuis dix ans travaillent sans rien attendre de personne, y compris au quotidien pour des dossiers individuels ( http://www.cip-idf.org ).Lire le communiqué « Nous ne voulons pas être sauvés ». (http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=6828)

Entretien avec un représentant de la coordination des intermittents et précaires, réalisé par Mari-Mai Corbel.

INFERNO : Que se passe-t-il donc ?

Tu as des négociations UNEDIC qui ont lieu tous les trois ans puisque chaque accord UNEDIC doit être renouvelé. Et en général tout le régime général doit être renouvelé par une signature conjointe de ce qu’on appelle les partenaires sociaux, c’est-à-dire des organisations patronales et des organisations de salariés. Dans le cadre de ces négociations générales de l’UNEDIC, tu as la négociation particulières des annexes 8 et 10. Juste pour rappel, l’UNEDIC c’est un organisme paritaire, c’est-à-dire qu’il est géré par les syndicats qui ont signé un accord. D’un point de vue légal il suffit de trouver deux syndicats, par exemple le Medef et la CFDT pour signer un accord et même si les autres ne le signent pas, pourvu qu’il soit agréé par le gouvernement, l’accord prendra force de loi.

Par exemple le syndicat des intérimaires, s’il signe, c’est valide ?

Non, parce qu’il faut que les syndicats soient représentatifs. Il y a une liste qui pour les salariés regroupent CGT, CFDT, CFTC et FO. SUD n’est pas considéré comme représentatif. Pour les syndicats patronaux, tu en as aussi un certain nombre mais seul le Medef et la CGPME sont agréés. Le SYNDEAC qui est un syndicat d’employeurs dans le domaine du spectacle ne l’est pas. Ces négociations sont formelles. Elles ont été préparées par des pré-négociations et on sait à peu près qui va signer. Pour les salariés, c’est la CFDT qui convainc la CGT et la CFTC d’aller avec eux, ce qui leur permet de donner le sentiment qu’une majorité de syndicats. Il y a un gros problème de représentativité dans ces négociations.

Actuellement le Medef met la barre très haut puisque dans un document du 13 février, il annonce son intention de supprimer les annexes des intérimaires et des intermittents. Il s’agit de mettre tous les gens dans le régime général et de ne plus prendre en compte la spécificité du travail dans certains champs. Or il se trouve que ces emplois à durée déterminée, c’est l’immense majorité des contrats signés [note de l’auteur : 80% des contrats de travail actuellement sont des CDD]. Ce que veut le Medef, c’est précariser l’ensemble des salariés, pas seulement ceux des annexes 8 et 10 ou 4, mais tout le monde, pour avoir une main d’oeuvre qui n’ayant plus de droits sera prête à accepter toutes les conditions d’emploi et de rémunération.

Je n’ai pas besoin d’un dessin…

La situation c’est celle d’une négociation. Déjà en plus de la du fait que la représentativité à l’UNEDIC soit discutable, le système de l’assurance-chômage ne marche pas puisqu’en France un chômeur sur deux n’est pas indemnisé. C’est le cas aussi des intermittents. Une personne sur deux qui a cotisé aux annexes 8 et 10 n’est pas indemnisée. Donc le sort des intermittents n’est pas exorbitant du sort commun. Un tel système de chômage est scandaleux. Dans une logique de négociation, on se doute bien que la position du Medef joue là à « retenez-moi sinon je fais un malheur ». Le Medef finira bien par signer quelque chose et il se trouvera un syndicat pour le signer, ce sera la CFDT. Le but de ce rapport de force est simple, c’est moins de supprimer les annexes 8 et 10, mais une réforme drastique de l’UNEDIC qui rendra à tout le monde plus difficile l’ouverture des droits et l’indemnisation.

C’est déjà très dur de rentrer dans l’intermittence…

En 2003 on a dit que la réforme allait exclure un tiers d’entre nous. En fait, non mais cela a précarisé l’ensemble de la profession – je n’aime pas ce terme de « profession ». Oui, une part s’est convertie en serveur, pompiste, ou webmaster, etc., mais en fait ils ont cumulé les moments où ils travaillaient comme serveur par exemple et d’autres où ils ouvraient des droits au régime général tout en cotisant de temps en temps aux annexes 8 et 10, pour basculer temporairement dans le RSA. Etc. En fait, c’est une précarisation générale de la « profession », mais pas seulement chez les intermittents du spectacle, en fait de tous les ayants droits chômeurs.

Oui, ça arrive dans un contexte politique européen très précis.

Européen oui, et français aussi. Les valeurs du libéralisme sont hélas admises sans discussion. C’est asséné en permanence que l’ordre économique actuel est de l’ordre de la météorologie. On ne peut pas le mettre en discussion. Ce serait nous dit-on aussi ridicule que d’insulter le soleil parce qu’il ne brille pas. Dans ce cadre-là, l’idée est que chacun est entrepreneur de lui-même et est invité à s’aligner sur un modèle entrepreneurial et pour ceux qui n’y arriveraient pas, à se glisser dans un modèle salarial mais alors performant – c’est pour ça que je méfie beaucoup de l’idée de « profession ».

Nous ne sommes pas des pièces détachées.

Oui, il n’y aurait alors quand on ne fonctionne plus, que la grâce de la charité publique comme le RSA.

Oui, enfin le RSA on peut imaginer ne sera pas éternel.

On peut imaginer un monde où il sera remplacé par le Secours Catholique…

Je dirais par les CRS !

Je ne sais pas. Le système du RSA qui est compliqué. Chacun s’y sent surveillé, et d’ailleurs ment, trafique, arrange les choses, et culpabilise en fin de compte. Donc là on est dans un rituel de négociateurs. Les 27 février et 13 mars il y aura deux séances au terme desquelles un accord doit avoir été trouvé.

Il me semble que cette table de négociation devait s’ouvrir sur des propositions qui avaient été préparées en amont et que le Médef en ouvrant les séances avec ses propositions complètement sauvages, a déstabilisé le processus en cours. La coordination des intermittents et précaires par exemple n’est pas contre la réforme des annexes 8 et 10 et a fait des propositions.

La Cip n’a jamais dit que le régime d’avant 2003 était juste, ni que celui qui a été prorogé après l’était, pas plus que celui un peu modifié un peu en 2006. La situation actuelle n’est pas supportable, ni pour les annexes 8 et 10 qui favorisent actuellement les gens qui travaillent le plus et le plus régulièrement – ce qui est quand même aberrant pour des gens qui travaillent dans l’intermittence – ni pour le régime général – je le redis – un système qui indemnise un chômeur cotisant sur deux (dans le régime général ou les annexes 8, 10). Cela et constitue un danger pour la démocratie. On n’est pas du tout pour le statu quo qui de toute façon précarise.

Il faut rappeler que vous avez beaucoup travaillé. Il y a eu cette proposition de loi portée par des parlementaires de droite et de gauche, à travers une commission où vous siégiez et qui a été retiré in extremis par Sarkosy alors président. Vous êtes totalement crédibles, vous connaissez très bien le dossier et surtout vous avez réuni un accord général au sujet des annexes 8 et 10. Quand le Medef fait cette déclaration brutale, il torpille cela..

Là on revient au problème de départ, qui est la représentativité de ce système et sa qualité démocratique. Le système paritaire n’est pas démocratique. Les seuls qui seraient représentatifs, le SYNDEAC ou la coordination qui réfléchissent depuis dix ans à la question, ne sont statutairement pas recevables. Et là, Aurélie Filipetti ou Michel Sapin disent que eux ne veulent pas se mêler des négociations même s’ils nous flattent en disant notre notre travail très intelligent.

Aurelie Filipetti a fait une déclaration le 14 février et est revenue dans une interview le 15 février au Parisien, suite à l’action que vous avez menée le jeudi 13 février dans les locaux de son ministère. Elle a repris votre position, disant qu’une négociation ne pouvait porter concernant ces annexes 8 et 9 que sur la discussion de vos propositions. Mais pensez-vous que c’était une réaction opportuniste ? Elle et Sapin pourraient-ils refuser d’agréer ?

Dire : « on est attaché aux annexes 8 et 10 et il faut retrouver un système vertueux », Aillagon ministre de la Culture et Fillon ministre du Travail en 2003 le 25 juin 2003 ont dit pareil. A l’évidence le gouvernement actuel refuse de rentrer dans un conflit, ni même dans une conversation à ce sujet.

C’est bien ce que j’ai senti. « C’est chaud ».

Le problème, c’est de savoir si le gouvernement a les moyens de contrer le Medef. Le Problème de fond c’est qu’idéologiquement ne sont pas remis en cause ni le fonctionnement statutaire de l’UNEDIC qui est quand même un déni de démocratie, ni les principes idéologiques sur lesquels ils reposent qui est la météorologie dont je parlais plus haut.

Donc il faut instaurer un rapport de force. Il y a des luttes de possibles.

De toute façon, tout ce qu’on a obtenu et qu’on obtiendra, c’est par la lutte. Je rappelle que l’accord signé en 2003 n’a pas été réellement appliqué avant 2006. Il y a eu pendant trois ans des systèmes de rattrapages mis en place par l’Etat, qui ont récupéré 30.000 personnes. Mais on l’a obtenu par l’annulation des festivals d’Avignon, Aix-en-Provence, par la lutte donc.
La position du Médef est purement idéologique.

Il y a une vidéo de la coordination qui explique très bien toute l’arnaque du soi-disant déficit des annexes 8 et 10.

Le déficit est une pure construction idéologique qui vient d’une soi-disant cour de sages qui est la Cour des Comptes. C’est effarant [note de l’auteur : consulter cette vidéo http://www.youtube.com/watch?v=tC9ifnAumLM&feature=share%5D. Idéologiquement, on voit à quel point les chiffres ont été manipulés pour présenter les gens qui ont des droits comme si c’étaient des privilégiés. On veut remplacer des droits par d’autres modes de financement qui seront de l’ordre du marché ou de de la charité publique. Et c’est préoccupant par rapport au niveau démocratique de notre société, ce recul du droit.

Un peu de RSA, un petit boulot au black, un cachet par-ci par là. Tu peux développer cette articulation entre recul des droits du travail et de la démocratie ?

C’est une stigmatisation qui met tout ce monde dans une situation de dette, de culpabilité (d’assisté prétendument) et finalement d’asservissement qui ne dit pas son nom. Qu’est-ce-qui est reproché aux artistes et techniciens ? C’est d’exercer librement des métiers qui leur plaisent et de ne pas payer cette liberté et ce plaisir par la souffrance et la précarité. Et ce que permet un système d’assurance chômage c’est de refuser un emploi. Ce qui énerve le Médef, c’est que les intermittents choisissent leur emploi y compris en refusant, une fois qu’ils auraient fait leurs heures. La question n’est pas là en pratique, mais le scandale c’est qu’ils font un métier qui leur plaît et qu’ils choisissent. Mais le véritable scandale c’est que ce sont des exceptions. La précarité oblige les salariés à accepter des condition infâmes pour des tâches indignes, et qui ne leur permettent même pas de vivre. La réalité est celle aujourd’hui du travailleur pauvre, qui travaille et ne peut même plus se subvenir. A terme c’est la fin de la démocratie.

Tu peux développer ce point ?

Par exemple, en Allemagne, les réformes qui ont été mises en place par des gouvernements sociaux-démocrates et verts ont abouti à rendre aux chômeurs le travail obligatoire. On l’ignore mais aujourd’hui, un Allemand au bout de quelques propositions de son agence de replacement ne peut plus dire non même si cela n’a rien à voir avec son métier et si le salaire proposé n’est plus que symbolique.

C’est le travail obligatoire des années 39-45.

On a appelé ça le STO. Les Français n’ont pas trop aimé car cela les envoyait en Allemagne. Mais en vérité, ce que cela veut dire c’est que c’est la guerre. La définition de Clausewitz de la guerre est que c’est le moment où on oblige les gens à faire ce qu’ils ne veulent pas faire. C’est la guerre sociale. C’est pour ça que c’est la fin de la démocratie. On est très loin de l’idéal paritaire où il aurait un accord entre des syndicats représentatifs et un patronat soucieux de la bonne marge de ses entreprises et du bien être de ses employés…

On sait aujourd’hui que ce qui compte, c’est la marge financière juteuse des actionnaires. Le profit du travail a chuté vertigineusement.

Oui et puis en plus, les gens contraints de travailler dans des emplois qui ne les intéressent pas ne sont pas très productifs… Et dans le domaine du spectacle, on ne peut forcer personne à travailler. Quelqu’un qui n’a pas envie ne peut rien faire sur un plateau. Mais le Medef n’en a rien à faire : c’est moins un syndicat d’entrepreneurs qu’un cartel de logiques idéologiques. Gauthier-Sauvagnac qui était le précédent négociateur avait été très clair. Il a dit que le problème ce n’était pas le déficit mais le nombre.

D’intermittents ?

Oui, 100.000. De trop pour lui.

Ce n’est pas énorme.

On était déjà là en 2003, ça a baissé puis remonté. De toute façon, le Medef, ne veut pas de gens qui aient des droits, c’est tout. Il faut savoir l’entendre.

Propos recueillis par Mari-Mai Corbel, février 2014.
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Visuels copyright : 1- Claire Fontaine / 2- DR

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