« PREPARATIO MORTIS » : JAN FABRE OUVRE LA DANSE AU FAB
« Preparatio Mortis » Conception Jan Fabre / Cie Troubleyn, Chorégraphie Jan Fabre et Annabelle Chambon, Interprétation Annabelle Chambon, TnBA du 10 au 12 octobre, dans le cadre du Festival des Arts de Bordeaux Métropole (FAB – 5 au 24 octobre).
Jan Fabre ouvre la danse au FAB
« Preparatio Mortis » de Jan Fabre – reprise d’un solo présenté en 2005 à Avignon alors que le chorégraphe plasticien avait été invité cette année-là comme artiste associé aux côtés d’Hortense Archambault et de Vincent Baudriller – immerge le spectateur dans une obscurité totale saturée par les envolées amplifiées d’orgues lancées à toute blinde créant d’emblée un univers post mortem propre à accueillir « l’art vivant » du Flamand iconoclaste. Puis émergeant très lentement du noir profond on distingue peu à peu, recouvert de fleurs, un catafalque dressé au milieu du plateau lui-même jonché de milliers d’autres de toutes les couleurs.
Le décor étant planté, avec une extrême lenteur le lit de fleurs recouvrant le tombeau se met à frémir imperceptiblement comme si une respiration venue d’outre-tombe l’animait. Deux mains, deux bras puis une tête apparaissent furtivement avant que les ondulations d’un corps fassent glisser la défunte hors du catafalque où elle était tenue prisonnière. La lumière se concentre alors sur sa peau mise à nue. Débarrassé des fleurs qui la recouvraient, elle se retrouve comme en apesanteur. Libérée, elle se ploie et déploie avec grâce jusqu’à ce que, les fleurs entre les cuisses, elle soit parcourue par des tremblements convulsifs, apparentés à ceux d’un orgasme irrépressible,
Suivra une orgie de mouvements violents où le corps de la danseuse s’effondre, se relève, déglutit, râle, se distord, crie, détruit avec rage toutes les compositions florales. Puis, comme si ce corps avait réussi à dompter l’énergie qui le traverse, il tourne, virevolte, se tresse une couronne, se saisit des dernières gerbes arrachées au catafalque comme de godemichés jouissifs avant de s’effondrer au sol pris de spasmes. Dans un second temps, après que le noir se sera fait, la danseuse – nue comme aux premiers temps – apparaîtra dans le tombeau qu’elle aura réintégré, flottant désormais dans un bain de sérénité. Ses gestes au ralenti, amples et harmonieux comme s’ils étaient accomplis dans un liquide amniotique porteur d’une vie éternelle, semblent la préparer à une éternité apaisée.
Ce voyage au centre de la mort, libérant des accès d’énergie pour s’extraire in fine de la pesanteur des ornements mortuaires, célèbre la puissance vitale à l’œuvre y compris lorsque la vie semble à jamais dépassée, comme un doigt d’honneur assumé à adresser à la Faucheuse. Par le biais de l’expérience sensorielle – visuelle et sonore – proposée in vivo, les conditions d’une immersion au plus près du sujet sont réunies pour « faire vivre » la mort transcendée. Le déchaînement des orgues que l’on doit aux enregistrements des compositions exécutées par l’organiste Bernard Foccroule dans diverses cathédrales, insupportable tant par son intensité que par ses sonorités répétitives entêtantes, fait partie intégrante d’une écriture qui met volontairement en état d’intranquillité pour mieux déloger chacun de sa position confortable de spectateur assoupi. Comme étourdi par ce déluge sonore, il est livré corps et âme aux mutations des tableaux visuels d’une composition des plus esthétiques.
Quant à l’interprétation d’Annabelle Chambon elle est remarquable, non seulement de technicité maîtrisée mais plus encore d’investissement à fleur de peau qui transcende la mort pour nous la rendre vivante.
Yves Kafka
Images copyright Jan Fabre / Troubleyn