MAGALI DELRIEU AU PASSAGE DE L’ART
Exposition Magali Delrieu au Passage de l’art.
Une belle technique n’est rien sans une majesté qui la dépossède, sans une aura qui se détache des conditions de parade. Majesté du mouvement, calfeutrage des protocoles. Magali Delrieu met en évidence un savoir-aimer de la matière : le travail sur la tresse, sur le lacis, qu’elle opère rompt avec la féodalité des codes classiques de la couleur et du peigné telle que la définit Michel Pastoureau dans les ateliers de passementerie dans les cours d’amour du XIVé siècle : « nulle mise, coiffe ou blason qui n’ait son parent, qui n’ait eu vent de la guerre. » Le moindre bracelet de fer-blanc ou de vermeil conjure la déception mortifiée de combats menés dans les chambres d’amour ou les donjons intérieurs.
Première exposition personnelle de cette artiste à la galerie Passage de l’art, lieu d’art contemporain qui se tient dans l’enceinte d’un lycée et présente depuis dix ans nombre d’artistes et notamment des sculpteurs aux champs conceptuels extrêmement divers. M. Delrieu expose trois pièces en trois dimensions qui imbriquent le plafond, les cimaises et la perspective. D’un dessin et d’une maquette, elle tisse un dispositif d’effilochage, de tramage de lianes en plastique qui envahissent l’espace : nous pénétrons dans un monde de fées, une forêt vierge vintage où le rhizome, la prolifération dévorante des racines et des tubulures n’occasionnent pas de frayeur spécifique ; passé le premier amusement puis dérangé par l’intrigante douceur de la proposition frondeuse, un sentiment de déperdition des repères et des assises acceptée, des questions surgissent : la damier de postiches de crin, la chaise-arbre, la porte-ciel sont -elles des inventions fantasmatiques, des pare-feux de l’illusion ? Que pouvons-nous gagner comme rivages avec cette fileuse qui imaginarise la matière en multipliant les myriades de connexion ?
Le soin manifesté au jeu, le choix des couleurs, la moquerie et le goût de la blague n’occultent pas la mystérieuse question posée aux matériaux triviaux et basiques de notre environnement (porte, tabouret, chaise, portique). Les objets sont-ils dotés de raison _ en sacrifiant leur usage, nous les déportons en tant que fétiches dépareillés, nouveaux totems de notre désillusion de temps de crise permanent _, que fait-on des rêves mal posés ? Voyage avec les formes, dispositif où l’on peut s’asseoir sur le ciel et passer des murailles : sur le petit tabouret, sont peints des nuages en tenue de camouflage, d’autres que ceux du rideau de cuisine si poétique. Les apparences sont trompeuses, elles n’annoncent pas une disparition imminente ou dans l’air mais en vous fiant aveuglément à l’usage reconnu d’un raccordement, nombre de mésaventures peuvent vous arriver. N’ayez crainte : vous pouvez aller faire vos dévotions sacrilèges au Passage de l’art, il y a un numéro d’appel pour les heures de visite.
Emmanuel Loi
Magali Delrieu / derniers travaux / Passage de l’art JUSQU’AU 26 MARS de 15 h à 19 h / Lycée du Rempart / Marseille 13007
Visuels: vues de l’expo de Magali Delrieu au Passage de l’Art / février 2012 / Copyright de l’artiste