THOMAS LEBRUN REVISITE LE ROMANTISME DE « LA JEUNE FILLE ET LA MORT » DE SCHUBERT.
DANSE : Thomas Lebrun / Cie Illico / La Jeune Fille et la mort / En tournée.
En tournée jusqu’au mois de juin, Thomas Lebrun part de La jeune fille et la mort pour nous parler en fait de femmes de tous âges, et surtout de la vie et de toutes ses étapes. Une pièce belle et sobre, qui questionne le spectateur dans ces peurs et ses luttes les plus intimes.
Après avoir dansé pour de nombreux chorégraphes, Thomas Lebrun s’est mis à créer lui-même ses spectacles il y a une dizaine d’années. Habituellement, il s’exprime dans un registre haut en couleur et très théâtral. Aujourd’hui, il adopte un ton nouveau pour explorer le thème du romantisme tel qu’il continue d’exister dans notre société contemporaine
<Dans une scénographie à la sobriété radicale, presque tranchante, toute en noir et blanc, il compose une chorégraphie pour trois danseurs et quatre danseuses, entourés d’un baryton, Benjamin Alunni, et du Quatuor Voce, présents sur scène. Sa jeune fille se confronte pour nous à des problématiques universelles : le temps, le caractère éphémère de la beauté, l’amour et sa perte. Pour aborder ces questions au-delà des courants et des modes, il a choisi de s’entourer de danseurs éclectiques, appartenant à des générations différentes. Différentes maturités de danses et de femmes, pour parler des différentes étapes de la vie : la jeunesse, mais aussi, le vieillissement et son rapport au corps, à la beauté, à la séduction. La mort, elle, n’apparait pas directement.
Il s’agit plutôt de montrer la vie, en tant qu’elle est faite d’une série de petites morts, deuils, pertes, renoncements, qui provoquent chez la jeune fille des « états de mort », passages obligés de la construction de soi. Autour d’Anne-Sophie Lancelin, la jeune fille, Corinne Lopez, Odile Azagury et Christine Girard, plus expérimentées mais aussi plus âgées incarnent une autre facette des rapports humains. Elles nous parlent de jalousie du corps de l’autre, de nostalgie d’un passé révolu, de colère et de désir de séduction, qui lui, n’a pas disparu
Dans ce tourbillon, les hommes, Christian Ubl, Raphaël Cottin et Anthony Cazaux sont bien tourmentés, partagés qu’ils sont entre leur rôle de chevalier servant, protecteur de la femme, et un instinct qui les tiraille et les incite à tourner leurs regards vers cette femme plus jeune. Les enjeux du couple sont magnifiquement montrés, dans une scène d’une humanité frappante, où ces hommes dignes et beaux, tentent d’accourir et de soutenir, au sens premier du terme, leurs belles qui semblent prêtes à s’écrouler à la moindre distance, au moindre signe d’abandon possible. Ils les entourent, les relèvent fidèlement, les réparent presque, mais à côté, la jeune fille est là, et son pouvoir d’attraction presque palpable, qui vient mettre en danger ses fragiles équilibres entre hommes et femmes lorsqu’ils doivent faire face à l’usure du temps. Mais malgré le risque et la peur, la tendresse est bien là, la beauté du lien aussi, qui d’ailleurs naît peut-être de ce danger même.
Il s’agit donc bel et bien de vie, et non de mort. La musique elle-même est là pour le prouver. La présence des musiciens et des instruments qui côtoie celle des danseurs rend vie à la composition de Schubert. L’interprète du Lied, le baryton Benjamin Alunni se joint à la chorégraphie dans un moment de partage d’une grande intensité. Tout entre eux est dialogue, tantôt en harmonie, tantôt en opposition ou en contre-point. Le rapport entre la musique et la danse reflète tous les enjeux humains présents dans la chorégraphie. Et même quand, au final, une neige noire tombe en fine pluie sur le plateau, marquant le pouvoir d’une mort qui plane toujours, la vie est bien là pour répondre, et la jeune fille répond par un élan qui semble prêt à vaincre tous les démons et toutes les ombres.
Grave et pudique, la pièce n’en est pas moins plus sereine que ne le laissait espérer le thème. La danse, sobre et très dessinée interroge directement le spectateur, mais sans pathos, juste un questionnement : Comment est-on romantique aujourd’hui ? Comment rester romantique à 60 ans ? Comment… la vie ?
L’épure et le noir implacable, volontairement froid, est ici un enchantement. La sobriété concentre les sens sur la sensualité des costumes, sur leur tendre humanité, qui finalement, pourrait bien être plus forte que l’implacable vérité de la mort en face. Un combat qui remue le spectateur de l’intérieur, qui nous touche tous, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes. Un questionnement du rapport à soi et à l’autre qui revêt une grande beauté et offre un moment précieux de plaisir bien vivant.
Maya Miquel Garcia
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