CLAUDE LEVÊQUE : MÊME PAS PEUR !

Claude Lévêque « Seasons in the Abyss » / Du 7 mai au 3 juillet 2012 / Ecole Pierre Budin, Paris XVIIIe.

Claude Lévêque a été invité en résidence à l’école Pierre Budin dans le quartier de la Goutte d’Or, à Paris. Il a développé, en collaboration avec des enfants âgés de 6 à 11 ans, une installation in situ. Une expérience inédite en France dans une école élémentaire.

 L’appartement de fonction du directeur, actuellement inoccupé, a été mis à la disposition de Claude Lévêque pour qu’il y réalise une exposition qui implique l’ensemble des élèves de l’école. Pierre Perrin, le directeur de l’établissement, est aussi le commissaire de cette exposition. Pour la réaliser, l’artiste a mis en place les conditions d’un dialogue avec les enfants pour l’élaboration du projet, et pour sa réalisation. Les traces lumineuses produites par les phares des voitures au plafond, le soir au moment de s’endormir, Une projection inversée de ce qui se passe en temps réel dans la cour de récréation, sont quelques unes des idées émises qui ont donné à l’exposition sa tonalité. Celle-ci explore l’au-delà du mobilier utilitaire de l’école, en le confrontant à des objets « précieux » prêtés par les enfants ou, plus rarement, choisis par eux dans les dépôts d’Emmaüs où ils se sont rendus avec l’artiste. Des jeux de double et de surfaces réfléchissantes démultiplient ces éléments. L’exposition est intitulée Seasons in the Abyss d’après une chanson des Slayer, un groupe américain de trash métal dont la poésie tourmentée, et les sons puissants, s’écoutent à plein volume. Cette évocation des profondeurs abyssales renvoie aussi à des lieux obscurs dans lesquels les repères spatiaux se brouillent. La bande son de l’exposition, en revanche, ajoute un élément céleste, avec des piaillements superposés d’oiseaux stridents et convulsifs  .

Dans l’appartement aménagé de pupitres et de chaises d’écoliers récupérés à la Mairie de Paris, Claude Lévêque a reçu successivement des petits groupes de cinq enfants, lors de séances préparatoires. Il a simultanément mis en place des ateliers d’écriture pour la réalisation de néons, invitant les enfants à écrire de la « main contraire », soit gauche pour les droitiers, et vice et versa. Durant les quatre mois de sa résidence, il a participé à certains repas collectifs à la cantine, pour le plus grand plaisir des enfants qui pouvaient, par ailleurs, lui rendre visite spontanément à l’appartement, selon des horaires définis avec les enseignants. Pour s’imprégner encore davantage de leurs univers, il a visité des chambres d’enfants. Bien que la Goutte d’Or abrite aussi des personnes particulièrement défavorisées, le quartier est classé Zone Urbaine Sensible (ZUS), ce sont les familles les plus aisées qui l’ont reçu. Par contre, les enfants se sont investis dans le projet indifféremment de leurs conditions sociales. Certains d’entre eux manifestant une aptitude  particulière  à appréhender le travail de Claude Lévêque, qui leur avait été présenté à la galerie Kamel Mennour, lors de l’exposition Basse Tension, et à travers des DVD, et des catalogues. Ils ont également visité le Musée du Louvre avec l’artiste.

Le parcours qui résulte de ce processus commence déjà dans la rue Pierre Budin. Les mots J’ai peur, en lettres de néon rouge placés sur la partie supérieure vitrée de la porte d’entrée du bâtiment, accueillent le visiteur. Cette écriture manuscrite d’Amine, un élève de CE2, évoque les punitions scolaires (d’autrefois), une violence ordinaire toujours actuelle, tout en  rappelant que les enfants aiment aussi les histoires qui font un peu peur. Elle opère aussi comme une clefs d’entrée à l’espace fictif de l’exposition, en conférant un aspect cinématographique à la rue. Cette porte franchie, un couloir étroit aux murs jaunis conduit à la cours de récréation délimitée par les bâtiments scolaires et plongée, ce jour-là, dans un silence provisoire. Sur la gauche, un escalier mène au 1er étage où se trouve l’appartement traversant du directeur. Il est composé de trois chambres côté rue, d’un salon côté cour, d’un réduit et d’une cuisine (non investie), soit six pièces articulées autour d’un couloir. Dotées d’un plafond haut, de parquet en bois, et de fenêtres barbouillées de traces de peinture noire et mate qui filtrent la lumière du jour, elles sont plongées dans une semi-obscurité. Dans le réduit, un château fort miniature posé au sol, baigne sous un puits de lumière naturelle. Dans le salon attenant, une ampoule suspendue par un long fil électrique éclaire les vestiges d’un jouet en plastique de couleur pastel,un château-nuage Barbie caractéristique de ceux réservés aux filles. Les surfaces nacrées forment, en s’entrelaçant, un cercle qui brillent sous la lumière artificielle comme un nid de serpents, ou de guimauves géantes. La présence des enfants, jusque-là suggérée par des traces discrètes, se manifeste plus ouvertement dans les trois chambres côté rue où des pupitres, des bancs et des chaises sont empilés de manière chaotique, à la limite du déséquilibre.

Des boules à facettes, placées par paires à la hauteur des yeux des adultes, et à celle des enfants, projettent sur les murs, en tournant sur elles-mêmes, des particules de lumière. Des miroirs sans teint réfléchissent, en les démultipliant, d’innombrables petits objets du quotidien confronté au matériel scolaire anonyme. Une étoile de Noël éteinte au sol, un petit piano noir, des coupes de vainqueur, un doudou vert, l’image d’un clown dans un cadre,  une voiture jaune posée sur un pied de table jaune, deux wagons de train miniatures, une mappemonde, une minuscule chaise rose à côté d’une grande lampe de chevet, un nounours à la mer, une voiture clignotante… Nichés dans chaque recoin, comme dispersés suite à une douce tempête, ces objets forment des micro fictions, pareilles à celles que l’on trouve dans les chambres d’enfant. Des espaces sensibles et sophistiqués, dans lesquels le vocabulaire enfantin qui fusionne avec celui de Claude Lévêque, aurait pu inspirer à Charles Baudelaire cette phrase : « Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté »

 Josiane Guilloud-Cavat

Seasons in the Abyss / Du 7 mai au 3 juillet 2012 / Ecole Pierre Budin 5, rue Pierre Budin 75018 Paris / M° Château Rouge – ligne 4 ou Marcadet Poissonniers – Ligne 4/12 / Horaires d’ouverture : les lundi, mardi, jeudi et vendredi de 10h à 18h, de préférence sur rendez-vous tél : 01 46 06 21 49

Visites avec Claude Lévêque, les samedi 2, 9 et 16 juin de 14h à 18h sans rendez-vous.

Plus d’informations : http://www.kamelmennour.com/ Site de l’artiste : http://claudeleveque.com/fr

Visuel : Claude Lévêque et les élèves de l’école élémentaire Pierre Budin Hazem Nasser et Amine Ibn El Karaa, / Seasons in the abyss, 2012 / Installation in situ, appartement de fonction de l’école, quartier de la Goutte d’Or, Paris / Fenêtres barbouillées de peinture noire, mobilier scolaire et objets personnels choisis par les élèves, boules disco, miroirs sans teint, projecteurs / Diffusion sonore : transistors aux ondes brouillées © ADAGP Claude Lévêque. Courtesy the artist and kamel Mennour, Paris.

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