CHARLOTTE PERRIAND : LA PHOTOGRAPHIE POUR UN AUTRE MONDE
Charlotte Perriand : La photographie pour un autre monde / exposition au musée Nicéphore Niepce, 18 février-20 mai 2012 /Chalon-sur-Saône.
Charlotte Perriand (1903-1999) est principalement connue pour son œuvre de designer et sa collaboration avec Le Corbusier. Pourtant, elle était loin de n’être « que cela ». Adoratrice de la nature, fine observatrice des hommes, grande voyageuse, elle a toujours relié son activité créatrice à un arrière fond naturel et humain, voire social.
Tout au long de ses voyages, elle n’a cessé de photographier le monde qu’elle voyait. Cette collection de photos était pour elle un support d’étude pour le dessin de meubles et une source d’inspiration dans sa recherche de formes et de matériaux. Elle a été la première à utiliser la photographie dans le mobilier même, ou comme élément de décor monumental.
Son œuvre de photographe est indispensable à la compréhension de sa conception de l’architecture. L’exposition proposait de suivre le regard que Charlotte Perriand, au long de ses voyages, a posé sur les formes et les matières, les hommes et les objets. Ses approches sont variées, parfois sans unité, comme l’est forcément un « répertoire d’idées et de formes » :
Sur la table de travail de Le Corbusier, poussières et débris capturés par son appareil forment un paysage. Un cliché du pont transbordeur du Mans en célèbre l’élan des courbes. Puis, un manège en Croatie offre soudainement un regard vivant sur les gens. Une cité refuge de l’armée du Salut ressemble curieusement à une vielle étagère par sa structure rythmée, marquée par le temps. Des filets de pêche se font fines dentelles en traversant son objectif. Du passager de ce bateau, nous ne verrons que le cul, assis sur une rambarde métallique. L’humain est bien là, partout présent, dans sont rapport à la matière, aux constructions. On en observe les postures, toujours dans l’idée d’en dégager des « formes ».
Pour comprendre la démarche de la photographe, il faut considérer la photographie dans le contexte des années 20, moment où les avant-gardes s’en saisissent pour créer un langage moderne, centré sur la nouveauté graphique. L’époque est fascinée par la technique et la machine. La designer s’inscrit dans ce mouvement mais développe une pratique plus intuitive, en enregistrant les formes qui captent son attention. C’est ce regard porté sur le monde qui la conduira à s’éloigner de l’architecture fonctionnaliste de Le Corbusier pour défendre une modernité qui parte de l’homme. L’homme est pour elle la base de toute réflexion, et c’est en cela que réside toute la singularité de son œuvre : son architecture est au service du corps. Il est d’ailleurs notable que sa série de photographies du Parthénon d’Athènes, loin de s’attacher à l’aspect grandiose du monument, se focalise sur des détails, des matières, le tranchant des ombres et de la lumière.
A partir de 1933, Charlotte Perriand rompt définitivement avec l’esthétique rationaliste et se passionne pour l’art brut. Elle photographie les craquelures du bois, un rocher aux formes surprenantes, sculptées par le vent, un galet de grés marqué de strates horizontales, entouré de vaguelettes de sable. Une série de tôles compressées, des accumulations d’équerres, de tuyaux, donnent naissance à des géographies singulières. Un os, une arête est rendue à sa beauté primordiale par le regard porté sur elle. La nature, devenue matière brute, est collectée. Elle devient « objets à réaction poétique », selon les mots de Le Corbusier.
Mais l’humanisme de Charlotte Perriand la pousse également sur un autre terrain : celui de l’engagement politique. Elle milite contre l’insalubrité des villes et la pauvreté. Pour diffuser ses convictions, elle utilise le photomontage et conçoit de gigantesques fresques, reconstituées à l’échelle pour l’exposition.
La grande misère de Paris (60m²), créée en 36 pour le Salon des arts ménagers de la capitale, dénonce les conditions déplorable de vie et d’hygiène dans la ville. Les images y sont enchevêtrées, les points de vus multiples. Textes et chiffres viennent appuyer le discours photographique.
D’autres fresques lui sont commandées par le Front populaire pour promouvoir les réformes de la politique agricole : salle d’attente du ministre de l’agriculture en 36 et Pavillon du Ministère de l’agriculture en 37. Ces photomontages, réalisés avec Fernand Léger, glorifient la France agricole et industrielle et dénoncent les ravages du capitalisme. Ainsi, sa photographie devient le média d’un discours à destination des masses. Très explicites, proches de l’art de l’affiche, ces fresques sont très marquées par le ton militant de l’époque. Aujourd’hui, plus que les œuvres novatrices qu’elles ont été, on y voit le témoignage d’une époque, celle du Front populaire, et l’élan militant qu’il a suscité.
Il est dommage que dans cette exposition par ailleurs très belle et bien réalisée, qui propose d’interpréter les photographies de Charlotte Perriand comme support de travail pour le mobilier, aucun de ces meubles ne soit présenté. Ainsi, il ne nous est pas possible de comprendre vraiment ce qu’elle tirait de ce répertoire. Que devenaient ces formes, ces matières, ces postures? Rien ne nous permet de le deviner.
Maya Miquel Garcia
Visuels : photographies Charlotte Perriand (entre 1933 et 1936) Copyright Musée Niepce Chalon / Adagp.