MILO RAU, « HATE RADIO », « THE CIVIL WARS », NANTERRE-AMANDIERS
Milo Rau : Hate radio, jusqu’au 8 mars 2015 / The Civil wars, du 10 au 15 mars 2015 / Théâtre des Amandiers, Nanterre.
Le théâtre de Milo Rau appelle inlassablement le réel à la barre. Pour cet élève de Bourdieu, metteur en scène et essayiste, journaliste et réalisateur, le théâtre ne peut être qu’un « sport de combat ». Obsédé par la question de la violence dans la société, il la met en scène dans des procès et des reenactments, puissantes reconstitutions qui travaillent les spectateurs au corps. C’est ainsi qu’il évoque Les Dernières Heures des Ceaucescu (2009), donne à entendre la Déclaration de Breivik (2012), tueur norvégien de l’île d’Utoya, et provoque le réel dans Les Procès de Moscou (2012) et Les Procès de Zurich (2013).
Lors de ces performances, Milo Rau convoque de véritables acteurs de la société civile et organise leur confrontation dans des procès fictifs aux enjeux cependant bien réels. Éminemment provocateur, son interventionnisme se heurte à la censure, aussi bien en Roumanie, Russie, que dans son propre pays, la Suisse. Avec sa société de production International Institut of Political Murder, il crée un espace utopique, véritable catalyseur des contradictions de la société.
Hate radio
On aborde Hate Radio comme un cauchemar qui aurait pris l’apparence d’une normalité désinvolte. Pour parler du génocide rwandais, Milo Rau et les membres de l’International Institute of Political Murder nous font revivre une émission dans le studio de la Radio-Télévision Libre des Milles Collines (RTLM). Sur les ondes de cette station, véritable cœur idéologique du génocide, les animateurs et journalistes n’ont cessé d’appeler au meurtre et à la haine raciale, au gré de programmes radiophoniques qui mêlaient le groove des tubes congolais à la mode aux pamphlets racistes. Ce sont plus de 1000 heures d’émissions et près de 50 interviews, que Milo Rau et son équipe ont écoutées et menées pour les condenser en une seule émission imaginaire, véritable dramatisation d’une réalité dont la sauvagerie est tapie, larvée dans chaque événement du quotidien. On n’y entend ni les cris des victimes, ni le tumulte des massacres, mais on y voit des animateurs de radio qui plaisantent au travail. Sans donner une explication au mécanisme qui transforme certains citoyens en tueurs, Hate Radio – interprété par des survivants du génocide – s’attache à rendre palpable l’atmosphère qui régnait en 1994. La reconstitution de cette radio de la haine nous fait éprouver, par le prisme de l’Histoire, la genèse d’un esprit génocidaire ainsi que les conséquences criminelles d’une parole qui s’exerce au meurtre. Plongée infernale dans la fabrique d’une langue qui déguise en sous-entendus une injonction à la tuerie.
The Civil Wars
Dans un salon surmonté d’un écran vidéo, trois hommes et une femme prennent la parole et, petit à petit, se racontent. L’investigation qu’ils vont mener sur leur propre passé part d’une histoire, celle d’un jeune belge parti faire le Jihad en Syrie et que le père tente désespérément de rapatrier. The Civil Wars interroge le point de cassure de ces trajectoires et situe le théâtre d’une Europe en crise au cœur des biographies de ces quatre comédiens. Où commence la révolte ? Quels sont les événements qui viennent motiver nos engagements politiques, religieux ou professionnels ? Filmés par la caméra, les visages de ces acteurs de générations différentes déroulent quarante ans d’histoire individuelle et collective. Sans relâche, l’intimité de ces récits de vie vient bouleverser nos questionnements sur le monde, nos choix de vie, l’avenir, et dédramatiser notre rapport à une actualité violente. Les guerres civiles dont parlent Milo Rau et son équipe sont tapies dans les souvenirs et les blessures de chaque individu et font s’entrecroiser problématiques familiales et positionnements politiques. Ainsi, sur la table du salon, les images et les objets de l’enfance côtoient les coupures de presse et articles de journaux. The Civil Wars choisit de se plonger dans les méandres souterrains et particuliers de la psyché humaine, pour interroger les grands courants que notre époque traverse et dont la montée des extrémismes est le symptôme. Une tentative d’éclairer un présent qui nous effraie à la lumière de nos passés individuels.
Marion Siéfert
Press release