« BACCHANTES », LE FEU DIONYSIAQUE DE MARLENE MONTEIRO FREITAS

Lausanne, correspondance.
«Bacchantes- Prélude pour une purge» de Marlene Monteiro Freitas – Au théâtre de Vidy du 9 au 11 mai 2019.

La transe était bien présente lors de cette représentation déjantée ! Et Dionysos ? Son esprit subversif et ses attributs hantent ces bacchanales contemporaines.

Dès l’arrivée dans la salle de spectacle, les cinq trompettistes accueillent le public dans les rangs pour un échauffement auditif… et les comédiens, déjà en scène, comme des animaux en cage, zyeutent le public avec curiosité tout en gigotant chacun à sa façon, adoptant des postures et des allures « gallinesques ».

Les accessoires sont d’importance. Lutrins et tabourets accompagneront le spectacle de bout en bout dans des utilisations d’une créativité étourdissante. Les lutrins, évoquant la thyrse antique, figurent aussi bien des fusils que des balais, des phallus, diverses cannes, les cornes de Dionysos, des bicyclettes et j’en passe. La double flûte et le tambourin, attributs du dieu, sont omniprésents, figurés par les trompettes et la batterie électronique. Mais pas seulement : les comédiens du début à la fin de ces deux heures quinze de spectacle, rythment par leurs mouvements frénétiques, les yeux écarquillés, cette remuante danse orgiaque. Les artistes tirent parti corporel, musical et sonore de chaque objet. Les baguettes, par exemple, servent les jeux du corps comme ceux du son. Les voix sont exploitées à l’avenant dans des registres étonnants et saugrenus, allant du gargouillis au miaulement en passant par le râle ou le rot. Les bêlements rappelle que Dionysos fut chevreau à un moment de sa légende.

Dans la même veine bigarrée, la musique jouée ou enregistrée est pop, lyrique, exotique, classique, les genres se suivent sans avoir l’impudence de se ressembler! Les trompettistes sont tout aussi créatifs avec leur instrument, conversant, imitant et délirant.

Le grotesque côtoie le bizarre, l’excès et la démesure. Dionysiaque, donc! Comme l’impression d’assister par moment à un dessin animé de Tex Avery ou à un film de l’époque du muet bien que le son soit le plus souvent tonitruant.

Cependant ce qui paraît être un joyeux capharnaüm est impeccablement réglé et la chorégraphie techniquement infaillible, Le jeu des comédiens et des musiciens est techniquement ajusté au millimètre. Qu’ils gambadent, cabriolent, gambillent, assis ou debout, vocalisant, s’égosillant ou toussant, rien n’est improvisé.

Chaque comédien dispose de son moment solo, mettant à profit un don spécifique: la voix de Louis Armstrong, la bouche hyper-dimensionnée, le bassin follement articulé indépendamment du corps, les sons spécifiques d’un instrument vocal, physique ou musical.

Et soudain, le silence et la diffusion d’un film en noir et blanc. L’accouchement, totalement autonome d’une femme japonaise. Renversant de naturel et d’efficacité. Le contraste surprenant d’un moment crucial, solennel, exempt d’artificialité, et pourtant tout aussi exaltant.

Et puis ça reprend, comme si de rien n’était, en expérimentations vocales, animales, musicales, textuelles, en discours incompréhensibles, en cavalcades frénétiques sur tabourets.

Le final se construit autour de la montée en intensité du fameux Boléro de Ravel durant lequel tous les acteurs donnent ce qui leur reste d’énergie et perdent encore quelques litres de sueur.

Alors quel était au juste cet ovni chorégraphique et musical ? Euripide était-il niché quelque part ? Le feu divin de Dionysos, né deux fois, d’une mortelle puis de la cuisse de Zeus, attise de ses flammes l’énergie débordante de ce spectacle. Même si on peut trouver sa durée un peu exagérée, s’impatienter légèrement de ses actes répétitifs, s’égarer à y chercher un sens mystérieux, il n’en reste pas moins une performance ébouriffante, débordante de festivités dionysiaques et surprenante de créativité.

«Nous avons travaillé avec et à partir de la pièce d’Euripide, d’un point de vue chorégraphique, donc à la jonction d’états, de tensions, sur le plan davantage émotionnel ou sensuel que dans une perspective de sens» Marlene Monteiro Freitas.

Martine Fehlbaum,
à Lausanne

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