THOMAS HIRSCHHORN, ’21 ANS DELEUZE MONUMENT’, AVIGNON

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THOMAS HIRSCHHORN – 21 ANS DELEUZE MONUMENT – Une exposition proposée par La Manufacture, Avignon – à l’Espace culturel associatif de la Mairie de Saint-Chamand, Avignon, France – 19 mai – 30 septembre 2021.

En 1999, l’artiste Thomas Hirschhorn est invité par Jean de Loisy et Jean-Jacques Aillagon à créer une œuvre pour l’exposition « La Beauté » au Palais des Papes d’Avignon, auprès notamment de Bill Viola ou Jeff Koons. Dans une cité où 10.000 habitants vivent dans le centre et 90.000 habitants vivent en périphérie, et sont pour la plupart non concernés par les propositions du centre ville, notamment du Palais des Papes ou du Festival, Hirshhorn leur propose de créer un projet en périphérie, avec les habitants.

Le site initialement choisi, la cité Louis Gros, a fait l’objet de contestation de la part de quelques habitants réunis en association, invoquant principalement la sécurité et la tranquillité du quartier. L’artiste argumente, dans une lettre qui leur est adressée, sa volonté de ne pas abandonner son projet précisément dans cette cité.

Il devra finalement céder et déplacer le projet dans une cité voisine, Champfleury. Tout ce processus de négociation avec les politiques, les associations, le travail de conviction réalisé auprès des habitants, peut faire partie de l’œuvre qui constitue un espace de pensée et de débat “réel”, le travail de Thomas Hirschhorn mettant l’œuvre en frottement avec la vie à l’inverse de travaux en laboratoires qui ne restent que des propositions ou modélisations. Les difficultés rencontrées – et Thomas Hirschhorn est un des rares artistes à exploiter les échecs de manière constructive – illustrent parfaitement le point de focalisation que le projet d’un artiste peut constituer dans une collectivité mal insérée dans la société. Dans ce cas, l’artiste n’est pas a priori appelé comme intervenant social, mais c’est son œuvre dans ce qu’elle comporte de relations humaines et de charge politique qui se positionne comme vecteur d’une certaine dialectique de la pensée.

L’œuvre

Comme dans son hommage à Champollion, Hirschhorn développe dans le Deleuze Monument le même rapport à la mémoire et à l’espace : le spectateur doit avoir une démarche critique. Il s’agit d’une installation en 4 parties : – statue – autel – stèle et lieu d’information- bibliothèque Le tout, visible 24h sur24, 7 jours sur 7, pendant les 4 mois de l’exposition, dans un quartier défavorisé au cœur de la cité Champfleury. De jeunes médiateurs, recrutés à cet effet, assuraient une sorte de gardiennage de l’œuvre et des installations vidéo qui s’y trouvaient, dans laquelle des habitants de la cité expliquaient eux-mêmes les approches philosophiques de Deleuze.

L’œuvre devient mythique

Initialement prévue pour durer 4 mois, l’oeuvre a été démontée deux mois après son ouverture avant la date d’échéance prévue parce que l’énergie et la dynamique pour la maintenir en fonction s’est dissipée. En commun accord, le collectif a décidé de démonter fin juillet 2000 le Deleuze Monument.

Son existence dans le cadre d’une capitale européenne de la Culture, dans la ville symbole d’Avignon ont amplifié les choses, et en font une œuvre mythique de l’art urbain, revendiquée par Thomas Hirschhorn comme son œuvre fondatrice.

La situation de la proche banlieue d’Avignon est emblématique des problématiques des périphéries françaises, et de ses voisines Arles ou Nîmes. Dans ce contexte, le Deleuze Monument offrait des perspectives d’ouverture et d’approches vers les non publics de l’art nouvelles et intéressantes. Or aujourd’hui, plus personne à Avignon ne connait ni ne parle de ce projet : il subit une amnésie collective. Le Monument Deleuze est par contre considéré dans le monde anglo-saxon comme une œuvre majeure et novatrice de l’art urbain : des livres lui sont consacrés par le MIT, des conférences sont données à Londres sur le projet devant des centaines de personnes, encore en 2014.

En 2000, Thomas Hirschhorn a lancé le projet avec Jefel Goudjil, un jeune employé social à la Mairie d’Avignon avec qui des liens se sont tissés et conservés au fil du temps. Aujourd’hui,Jefel est responsable administratif du quartier de Saint Chamand, voisin de Champfleury. Dans ce quartier en mutation qui accueillera à l’automne le terminus du nouveau tramway, il développe, avec La Manufacture Collectif Contemporain, un des lieux principaux du festival Off à la programmation contemporaine et engagée, un projet culturel de territoire inclusif et participatif.

L’exposition

« 21 ans  Deleuze Monument» est une exposition de Thomas Hirschhorn retraçant l’aventure de  Deleuze Monument en 2000, à partir des nombreuses archives, lettres, photos et vidéos que l’artiste a gardées et documentées précieusement dans son atelier d’Aubervilliers, qui seront pour la première fois regroupées dans une exposition rétrospective. Cette dernière intégrera différents moments et rencontres avec les habitants et jeunes devenus quarantenaires qui ont participé au projet en 2000.

Cette exposition vise à un moment de retrouvailles fraternel entre acteurs du projet, mais aussi et surtout à lutter contre l’amnésie autour de cette œuvre fondatrice et fondamentale, là où elle est née et où ses propositions sont plus nécessaires à voir, écouter et entendre que jamais, après 20 ans où finalement rien n’a changé en ce qui concerne les discriminations et les déterminismes contre lesquelles elle voulait lutter.

Pascal Keiser, La Manufacture, Avignon

Ce qu’en dit Thomas Hirschhorn :

Lorsque Jefel Goudjil, responsable de l’annexe Saint-Chamand de la mairie d’Avignon, m’a appelé au printemps 2019 pour me proposer de célébrer les 20 ans du  » Deleuze Monument  » En 2000, Thomas Hirschhorn a lancé le projet avec Jefel Goudjil, un jeune employé social à la Mairie d’Avignon avec qui des liens se sont tissés et conservés au fil du temps. Aujourd’hui,  » à Avignon, j’ai été ravi. Ravi parce qu’il y a 20 ans, Jefel Goudjil était le travailleur social en charge du quartier Champfleury d’Avignon qui nous a aidés, moi et les enfants avec lesquels il travaillait, à ériger et à montrer le  » Deleuze Monument « . C’est également lui qui a réalisé  » L’Abécédaire de Jefel « , une remarquable vidéo qui reprend l' » Abécédaire  » de Gilles Deleuze, que j’ai utilisé dans le  » Deleuze Monument « . Le fait que Jefel se soit souvenu du « Deleuze Monument  » et qu’il ait pensé qu’il fallait en célébrer le 20e anniversaire était donc en soi quelque chose de profond et d’essentiel, quelque chose de magique pour l’artiste que je suis.

J’ai toujours cru que – comme toutes les autres œuvres que j’ai réalisées dans les communautés locales (70 œuvres et plus) – le « Monument Deleuze » a une « shelflife » éternelle, non limitée, au-delà de sa nature éphémère ou précaire, précisément parce que – ayant une « shelflife » – il est « pour la vie ». Je crois que ces œuvres peuvent faire sauter – qu’il s’agisse d’objets ou de matériaux – la notion même de durabilité. Pour moi, dans tous mes projets communautaires, il s’agit d’affirmer, de soutenir et de travailler pour que les aspects matériels soient dépassés par l’intensité, l’expérience et les moments de grâce qui caractérisent ma vision de l’art de la précarité dans l’espace public. C’est ce qui fait de la célébration du 20e anniversaire du « Deleuze Monument  » une percée significative et qui correspond pleinement à cette affirmation.

L’invitation de Jefel était d’autant plus importante pour moi que le « Deleuze Monument  » était un échec, ou du moins un échec partiel, étant donné que l’art, surtout l’art dans l’espace public, n’est jamais ni un échec total ni un succès total. Ce qui a échoué en 2000, c’est que nous avons dû le démonter bien avant la date de précarité initialement prévue. Je l’ai expliqué dans le catalogue autoédité à l’époque : « Deleuze Monument -Thomas Hirschhorn- La Beauté Avignon 2000 ». Cet échec a été très important pour moi, il m’a beaucoup appris et grâce à cette expérience, j’ai décidé que si je devais à nouveau travailler avec les habitants d’une communauté locale, il faudrait que je sois moi-même tout le temps sur place et que je fasse mon travail à leurs côtés. À la suite d’Avignon, j’ai inventé ma ligne directrice « Présence & Production », que j’applique depuis lors. À ce jour, j’ai réalisé 10 projets selon ce principe, dont « Bataille-Monument », 2002 ; « Musée Précaire-Albinet », 2004 ; « Démocratie Suisse-Suisse », 2004 ; « The Bijlmer Spinoza-Festival », 2009 ; « Gramsci Monument », 2013 ; « Flamme éternelle », 2014 ; et « Robert Walser-Sculpture », 2019. C’est pourquoi l’invitation revêt une telle importance pour moi, car elle me permet de revenir sur ces expériences et leurs conséquences.

Mon « plan d’action » pour l’exposition commémorative est conçu à travers le prisme de l’œuvre d’art dans l’espace public. Concrètement, je veux créer une exposition « commémorative » dans le centre culturel des associations de Saint-Chamand que Jefel m’a offert. Je veux utiliser les locaux des associations (qui resteront ouverts pendant l’exposition) pour développer 8 thèmes : 1) L’art ; 2) L’espace public ; 3) Succès et échec ; 4) Présence et production ; 5) Expérience ; 6) Coexistence ; 7) Spot ; 8) Précarité. Il y aura des documents, des vidéos, des témoignages, des livres, des références au passé et à d’autres projets. Le « Deleuze Monument » 20 ans après » sera plus qu’une commémoration, car je veux montrer à travers mes projets communautaires locaux combien l’expérience de l’art peut avoir un impact, changer des vies et perdurer – pas seulement pour moi, l’artiste, mais pour tout le monde.

Thomas Hirschhorn, Aubervilliers, 2020

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When Jefel Goudjil, Head of Avignon town-hall’s Saint-Chamand annex, called me in the spring of 2019 to suggest celebrating the 20th anniversary of the ‘Deleuze Monument’ in Avignon, I was delighted. Delighted because 20 years ago Jefel Goudjil was the social worker in charge of Avignon’s Champfleury neighborhood who helped me and the kids he was working with erect and show the ‘Deleuze Monument’. He was also the one who made the ‘L’Abécédaire de Jefel’ (Jefel’s ABC), a remarkable video riffing on Gilles Deleuze’s ‘Abécédaire’, which I used in the ‘Deleuze Monument’. So the fact that Jefel remembered the ‘Deleuze Monument’ and then thought it warranted celebrating its 20th anniversary was in itself something both deep and essential, something – for me as an artist – magic.

I have always believed that —as any other work I have done in local communities (70 works and counting)— the ‘Deleuze Monument’ has an eternal, non-limited ‘shelflife’, over and above its ephemeral or precariousness nature, precisely because – having a ‘shelflife’ – it is ‘for life’. I believe that these works can blow away —whether object or material— the very notion of durability. For me, in all of my community projects, the aim is to assert, support and work to ensure that the material aspects be exceeded by the intensity, experience and moments of grace that typify my vision of precariousness art in the public arena. This is what makes celebrating the 20th anniversary of the ‘Deleuze Monument’ a meaningful breakthrough and corresponds fully to this assertion.

Jefel’s invitation was all the more important for me in that the ‘Deleuze Monument’ was a failure, or at least a partial failure, given that art, especially art in the public space, is never either a total failure nor a total success. What failed in 2000 was that we had to take it down long before the precariousness date originally planned. I explained this in the catalogue self-published at the time: “Deleuze Monument —Thomas Hirschhorn— La Beauté Avignon 2000”. The failure was very important to me, and taught me a lot and thanks to this experience I decided that were I to work with local community residents again, I would need to be there all the time myself and do my work alongside them. As a result of Avignon, I invented my ‘Presence & Production’ guideline which I have applied ever since. To date, I have completed 10 projects using this principle, including ‘Bataille-Monument’, 2002; ‘Musée Précaire-Albinet’, 2004; ‘Swiss-Swiss Democracy’, 2004; ‘The Bijlmer Spinoza-Festival’, 2009; ‘Gramsci Monument’, 2013; ‘Flamme éternelle’, 2014; and ‘Robert Walser-Sculpture’, 2019. And this is why the invitation means so much to me, letting me revisit these experiences and their consequences.

My ‘course of action’ for the commemorative exhibition is designed through the prism of public space artwork. In real terms, I want to create a ‘commemorative’ exhibition in the Saint-Chamand associations’ cultural center which Jefel has given me. I want to use the associations’ premises (which will remain open during the exhibition) two expand upon 8 issues: 1) Art; 2) Public Space; 3) Success and Failure; 4) Presence and Production; 5) Experience; 6) Co-existence; 7) Spot; 8) Precariousness. There will be documents, videos, testimonies, books, references from the past and to other projects. “The ‘Deleuze Monument’ 20 years on” will be more than a commemoration, because I want to show through my local community projects how much the experiencing of art can have an impact, change lives, and endure – not just for me, the artist, but for everybody.

Thomas Hirschhorn, Aubervilliers, 2020

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Les visites sont sur RDV (visites guidées uniquement) du mardi au samedi de 13.30 à 17h30 du 19 mai au 30 septembre 2021 / Lieu : pôle culturel et associatif de Saint-Chamand 5 avenue de Coubertin, à 200 mètres du terminus Saint Chamand du nouveau tramway. Réservation par mail : Mairie.annexe.stchamand@mairie-avignon.com Ou tél 04.90.87.23.02.


Image: Thomas Hirschhorn, Deleuze Monument, exhibition view, La Beauté, Avignon, France, 2000. Courtesy of the artist and Galerie Chantal Crousel, Paris.

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