BIENNALE DE LYON : DE L’USINE AUX MONDES PARALLELES…

 

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15e BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN DE LYON : « Là où les eaux se mêlent » – Divers lieux, Lyon – Du 18 septembre 2019 au 5 janvier 2020.

De l’usine aux mondes parallèles…

Voici une vingtaine de jours que la 15ème Biennale d’art contemporain de Lyon a ouvert ses portes et que Isabelle Bertolotti, la directrice artistique de la manifestation et les commissaires venus tout droit du Palais de Tokyo à Paris ont dévoilé le pot aux roses, à savoir l’occupation de l’immense friche FAGOR-BRANDT laissée en jachère pendant des années et que la Ville de Lyon, dans sa grande sagesse, a décidé de confier à la Biennale d’Art contemporain. Et, il faut bien l’avouer, cela manquait et cela change tout puisque, comme dans toutes les grandes manifestations de ce type, il va y avoir enfin un pôle central, magnifique, de la même ampleur que l’Arsenal de Venise avec la Corderie et des expositions itinérantes dans la ville – et cette année encore, il n’en manque pas (cf le programme)…

Alors, cette 15ème biennale est écolo… elle est une « déclaration d’amour aux ruisseaux, rivières, torrents et fleuves » et, justement, Lyon, placée à la confluence du Rhône et de la Saone, en connaît un rayon avec les eaux et leurs impatients flots… qu’Isabelle Bertolotti a tôt fait de comparer avec l’économie, les flux de capitaux et de personnes… et pourquoi pas ! Et ces quatre halls de l’usine Fagor sont là pour nous rappeler cet ensemble de problématiques avec, tout de même, une grande place laissée à l’usine, sorte de vestige d’un monde ancien, comme si on venait visiter un site archéologique, ce qui en dit long sur notre monde tertiaire qui, en un rien de temps, semble avoir oublié le rôle de l’usine dans notre monde contemporain ; son rôle social comme son rôle économique central dans notre société.

L’entrée se fait, logiquement, dans le Hall 1 qui abrite – et c’est tout un symbole – un Bureau des pleurs avec, notamment, des sons de l’usine ou un mur de CD qui reprend des paroles d’ouvriers, comme une source peu commune d’informations disparues ou oubliées à jamais et les installations d’Irène Milix ou Carla Adra annoncent ce à quoi on va assister dans toute l’exposition : une résurgence de l’usine et de ces spécificités…

Mais dans cette première partie de l’exposition, ce qui retient l’attention, c’est cette immense installation du mexicain Fernando Palma Rodriguez avec ces robes de poupées suspendues, colorées, qui se lèvent dans le ciel pour redescendre si vite, offrant un gonflant parfait, les petites filles (et leurs mamans) ne s’y trompent pas… assez subjuguant… Plus loin, l’installation merveilleuse de Stéphane Thidet « le silence d’une dune de sable » avec un sable blanc immaculé, une motocross sur sa béquille, une sorte de Paris-Dakar dans un hall. Immensité de rêves et société contemporaine qui pollue tout… Pour preuve cette reconstitution par Rebecca Ackroyd d’un accident d’avion, un crash dont il ne reste rien que l’ossature de l’avion, quelques sièges ou parois carbonisées, comme on doit en voir au moment de ces accidents où les experts recherchent les causes. Stupéfiant. Tout autour des installations (à la signalétique hasardeuse ; le seul reproche à faire à cette exposition… on ne trouve pas toujours facilement qui a fait quoi !) des œuvres d’artistes Sud-africains ou Australiens ou ces sculptures en 3D et en plexiglass de la Belge Eva L’Hoest, futuristes et tellement humaines dans cette usine naguère squattée par des tagueurs en herbe qui fait le pendant à cette sculpture géante, sorte de momie de notre ancêtre Lucie, de Victor Yudaev, cachée dernière un vaste point de contrôle de l’ancienne usine, les traces d’un vestige comme cette usine d’ailleurs.

Dans le hall 2, qu’il faut rejoindre en traversant (encore, peut-être un petit sas couvert entre les deux va-t-il naître et permettre cette liaison symbolique entre les différents bâtiments) une large rue interne à l’entreprise, on découvre le travail de la coréenne Minouk Lim, qui fait furieusement penser aux installations lumineuses de Claude Lévèque dont celle – célèbre – exposée à la Collection Lambert, fil rouge de néons qui surplombe ici un cours d’eau fumant dans une atmosphère sombre et brumeuse qui influe sur tout le reste du hall. On retrouve avec joie l’installation de Bianca Bondi « the sacred spring and necessary reservoirs » avec les effets de la chimie et de l’usure des choses toute imprégnées de sel et autres occidations… Le Français Abraham Poincheval ne laisse pas indifférent avec cette vidéo monumentale où, accompagné de drones, il survol lui aussi une lande verte et couverte d’un brouillard dense… Il marche au-dessus, porté par des filins. Il joue de l’harmonica qui sature tout l’espace, bois un liquide sorti de sa thermos… Il nous signale ainsi un monde inaccessible avec ce drone qui vient là aussi ringardiser l’usine, bien ancrée dans son sol, dans son temps et cette ouverture sur le monde qui subjugue tant elle paraît hors de portée, une volonté de se dépasser comme naguère ces machines qu’on créait dans les usines et qui semblent maintenant obsolètes puisque l’imprimante 3D va pouvoir faire des pièces que des machines lourdes et bruyantes faisaient, guidées par la main humaine…

Dans ce même hall, les sculptures blanches immaculées de Morgan Courtois ou rouillées par le temps d’Isabelle Andriessen, tout en disant beaucoup de cet oubli de nos usines et de ces objets laissés sans utilité, ne résistent pas à l’installation pop et hilarante de Ashley Hans Scheril et Jakob Lena Knebl toute violette et dorée, kitshisime à souhait, un brin de folie dans un univers pour le moins déprimant… comme ce cratère de Pamela Rosenkranz juste derrière aux couleurs de l’eau d’Evian dont les pigments asséchés font penser à une lune rose et blanche. Poétique, malgré tout.

C’est dans les Hall 3 et 4 que la métaphore avec l’usine prend tout son sens puisque dès l’entrée du 3 l’œuvre s’intitule « le saboteur d’usine » et Mire Lee a planté sur un vaste atelier profond les éléments de sa sculpture… Perdu dans cette immensité, en face de flacons géants rassemblés par Thomas Feuerstein desquels sortent bulles et bouillonnements, les peintures du français Stéphane Calais sont, là aussi, la preuve qu’un autre monde a existé…

Comme pour mieux répondre au Bureau des pleurs, l’installation de Marie Reinert avec 16 platines citant aléatoirement des expressions liées à l’usine vient rappeler ce monde d’avant avec ses expressions et ses usages… comme tombée du ciel cette immense capsule qui fait penser à un reste de vaisseau spatial imaginée par Sam Keogh ne lasse pas de surprendre… Elle fait le parfait pendant de l’installation dans un immense tube de béton surplombé d’un tronc d’arbre de Pannaphan Ydomanee recouvert dans son intérieur des mêmes vestiges de ce qu’a été notre monde… bouddha, fresques peintes, quelques éléments qui nous relient à nos racines, à l’ancien monde…

On l’aura compris, cette 15ème Biennale tout en étant tournée vers l’avenir dit beaucoup de ce qui nous constitue en alliant l’usine d’antan aux mondes parallèles qui se créent ou qui nous sont imposés par toutes ces mutations qui nous guettent…

Emmanuel Serafini,
à Lyon

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Images: 1- Sam Keogh, 2- Rebecca Ackroyd, 3- Bianca Bondi, 4- Minouk Lim, 5- Stéphane Thidet – Photos Muriel Chaulet, Odilon Redon – Copyright the artists / Biennale de Lyon 2019

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