LOUISE BOURGEOIS EN DEUX EXPOSITIONS REMARQUABLES
Louise Bourgeois – The Violence of Handwriting Across a Page – Kunstmuseum Bâle / Louise Bourgeois – The Woven Child – Hayward Gallery London.
Intitulée « The Violence of Handwriting Across a Page » (la violence de l’écriture manuscrite sur la page), l’exposition Louise Bourgeois (1911-2010) présentée au Kunstmuseum de Bâle a été conçue par l’artiste contemporaine Jenny Holzer (1950), connue pour son exploration infinie du langage dans l’espace public, telle que projections, panneaux LED, plaques de rue, etc. Les deux femmes artistes, au gré de parcours bien différents, ont construit du vivant de Louise Bourgeois, une relation qui se formule par cette exposition.
C’est donc au travers de l’abondant travail d’écriture de Louise (journaux intimes, notes, lettres) que Jenny la représente. Le travail de Louise se penche sur l’individu, ses émotions et son âme; Jenny, elle, observe le rendu politique et la sphère sociale exportée par le langage. Deux visions qui paraissent s’entrecroiser parmi les mots brodés, gravés, intégrés dans le travail de Louise Bourgeois. Autant de gestes essentiels liés au soin, à la conscience, à son évolution personnelle.
Plus de 250 oeuvres sillonnent les neuf salles de cette rétrospective. Leurs titres sont à chercher sur la feuille de salle chronologique, mais les oeuvres n’étant pas exposées dans ce sens, il est assez difficile de s’y retrouver. Pas de panneaux explicatif, aucun cartel.
Sont exposées des installations, sculptures, peintures, œuvres textiles, etc., pour lesquelles l’accent est mis sur les arts graphiques. Beaucoup d’oeuvres. Certains murs en sont recouverts. Les mots sont jetés, les idées déferlent, les émotions se répandent et Louise Bourgeois poursuit l’exploration de son moi jusque dans leurs abysses. A la mort de son père en 1951, elle entreprend une psychanalyse et garde tous ses écrits. Et c’est bien un flux gigantesque et puissant qui entraîne l’artiste sans répit. Jenny Holzer qui noie les regardeu.r.se.s dans ces rouges marées constellées d’un simple mot ou d’aphorismes sauvages l’a bien saisi. Le résultat est saisissant.
L’exposition que propose la Hayward Gallery de Londres est intitulée « The Woven Child » (l’enfant tissé). Elle s’attache à montrer les oeuvres des dernières années de Louise Bourgeois.
Au cours des dernières années de sa carrière, la célèbre sculptrice et artiste d’installation Louise Bourgeois a revisité les premiers jours de sa pratique artistique pour réaffirmer les thèmes sur lesquels elle avait travaillé toute sa vie. Explorant l’identité, la sexualité, les relations familiales et la réparation, elle a créé une collection d’œuvres psychologiquement chargées réalisées à partir de textiles domestiques.
Entre le milieu des années 1990 et jusqu’au moment de sa mort en 2010, Louise Bourgeois produit dessins, livres, estampes, têtes cousues, sculptures suspendues, corps entremêlés en vitrine et cellules, autant d’oeuvres typiques qu’elle revisite à la lumière de l’âge. Elle y incorpore des vêtements (secondes peaux) lui appartenant, des pièces de tissu personnelles, linge de lit, mouchoirs, tapisseries, y introduisant une vulnérabilité et une intimité sans pareilles. Fouillant et absorbant ses thèmes de prédilection, comme pour encore absorber identité, réparation, culpabilité, toutes choses liées à sa mémoire.
« J’ai toujours été fasciné par le pouvoir magique de l’aiguille. L’aiguille sert à réparer les dégâts.C’est une revendication de pardon. » Louise Bourgeois
Louise Bourgeois examine sa vie et ses expériences. Louise Bourgeois assemble et coud, sépare les membres, expose la sexualité en vitrine. Louise Bourgeois, pour comprendre sa vie, entrelace et agglomère les faits et les transforme en art. Louise Bourgeois est une sorcière magique et tragique, malicieuse et angoissante.
« En Répit » est une des premières qui montre des bobines, motif devenu peu à peu récurrent. Un état de repos et de paix, qu’elle idéalise et réalise par son travail artistique. C’est aussi un intervalle de suspension pour la mémoire et le temps où les aiguilles représentent une possibilité de réparation. N’a-t-elle pas déclaré que « L’art est une garantie de santé mentale »?
En 1998, Louise Bourgeois commence une série de têtes en textiles variés. Elle cherche à évoquer des états psychologiques et émotionnels.
Dans une vitrine ancienne, un prototype de couple en train de copuler. La jambe de bois de la femme, écrasée par l’homme, symbolise une sorte déséquilibre. Louise Bourgeois est fascinée par les prothèses auxquelles elle a été confrontée durant son enfance après le première guerre. Voilà pour elle, la scène primale aperçue ou imaginée : un mélange d’activité/passivité, plaisir/douleur, sexualité/mort.
Un diorama représente sa naissance et les débuts de la vie son plus jeune fils Alain qu’elle appelle l’enfant réticent. Tel ce miroir concave théâtralisant la scène, la mémoire déforme les souvenirs. Cet enfant refusait de naître. Que ressentait-il? Que percevait-il du monde extérieur? Que deviendra-t-il? Ce sont les interrogations d’une mère.
L’araignée, motif récurrent de Louise bourgeois entre 1990 et 2000, protège une cellule d’acier en la chevauchant. A l’intérieur, certains objets personnels, comme une bouteille du parfum Shalimar, créent une atmosphère nostalgique. Trois oeufs de verre sont enveloppés sous l’abdomen de l’araignée. Celle-ci représente sa propre mère, mais aussi elle-même et sa créativité. Elle évoque aussi son aspect prédateur. Malgré son apparence monstrueuse, c’est une réparatrice. Si sa toile est endommagée, elle est capable de la restaurer.
I came from a family of repairers. The spider is a repairer. If you bash into the web of a spider, she doesn’t get mad. She weaves and repairs it. Louise Bourgeois
La série « Progressions » est constituée à partir de pièces de vêtements et de tissus personnels. Pour elle, la géométrie comporte un certain nombre de règles sécurisantes qui sont des certitudes. L’exacte opposé du monde émotionnel qu’elle habite.
Durant les cinq dernières années de sa vie, Louise Bourgeois crée des empilements. « A sculpture is the body. My body is my sculpture «. Etablir une verticalité, une solidité?
Reconnue seulement depuis 1982, Louise Bourgeois, hors des modèles artistiques, offre sa propre expérience et sa vision du domaine domestique, douloureuse mais remédiée, fragile mais redressée, sensible et régénérée.
Martine Fehlbaum
Les deux expositions se sont terminées le 15 mai 2022.
Images: 1 & 4 : Exhibition view at Hayward Gallery – 2&3: Exhibition view at Kunstmuseum Basel