ENFER CONTEMPORAIN : PHOTOGRAPHIES DE NYABA LEON OUEDRAOGO

Exposition.  Photographies de Nyaba Léon  Ouedraogo, Galerie Particulière, Paris.

La  Galerie Particulière présente actuellement une exposition monographique des photographies de Nyaba Léon Ouedraogo dont l’étonnant  parcours l’a mené du sport à un travail documentaire engagé politiquement.

En  effet, au départ, rien ne le prédestinait à la photographie, ancien athlète de  haut niveau, il se préparait aux stades olympiques, une blessure en a décidé  autrement. A ce moment, il quitte le Burkina Faso où il est né en 1978 et décide  de s’installer à Paris. Sa relation avec la photographie débute en tant que  modèle, rapidement il passe derrière l’objectif et entame un travail de  photojournalisme. Depuis 2008, il sillonne le continent africain à la recherche  de sujets cruciaux auxquels il tient et qu’il souhaite partager avec le reste du  monde. Des sujets ayant une portée politique, économique, sociologique et  écologique : collecteurs de cuivre, de sable, casseurs de pierre etc. Les  Rencontres de Bamako dédient cette année une exposition monographique au  photographe burkinabé. Il y présente la série Dans l’Enfer du Cuivre (2008) qui a valu  d’être sélectionné pour le Prix Pictet en 2010.

En 2008, Nyaba Léon Ouedraogo part au Ghana pour y faire  un reportage sur la Coupe des Nations. Pourtant, une fois sur place, son  attention et sa curiosité vont se porter sur un tout autre sujet : la plus  grande décharge de déchets électroniques au monde, Agbogbloshie, dans la  banlieue d’Accra.[1] Une décharge qu’il découvre une première fois de nuit. Il est alors  marqué par les odeurs, la fumée et le caractère post-apocalyptique du lieu. Le  lendemain, il revient sur les lieux, « j’ai commencé à discuter avec les gens  qui travaillaient là-bas, je n’ai pas pris de photographies, je cherchais plutôt  à comprendre ».[2] Nyaba Ouedraogo se retrouve au centre d’une immense décharge à ciel  ouvert, le sol est recouvert de carcasses d’ordinateurs, de composants  électroniques, de câbles, de boues. Dans cette forêt métallique, des gens trient  pour survivre.[3] Ce sont en majorité des enfants qui,  sans aucune protection, dissèquent et brûle les ordinateurs, tous venus d’Europe  et des Etats-Unis, pour y collecter des métaux revendables. Le cuivre est le  plus recherché, soit il est exporté vers le Nord, soit il est retransformé au  Ghana ou au Nigéria pour la fabrication d’objets artisanaux comme les bracelets  revendus en Europe.

Après une semaine de questionnements, de discussions et  de recherches sur place, Nyaba Ouedraogo quitte le Ghana. Il y revient  rapidement et poursuit ses investigations pendant un mois et demi. Là, il  entreprend Dans l’Enfer du Cuivre,  une série photographique témoignant d’une situation catastrophique sur les plans  humains, économiques et écologiques. Il parle d’un « phénomène d’ampleur  mondiale ».[4] Entre temps, le photographique a pris contact avec Greenpeace, qui a  dépêché une équipe d’experts afin de mener des analyses de l’air et des sols. Le  rapport de Greenpeace est édifiant : les collecteurs sont exposés à des doses de  plomb, de mercure ou de phtalates jusqu’à cent fois supérieures aux normes  admises. Des doses qui affectent de manière irréversible le système reproducteur  des enfants, le développement du cerveau et sur le système nerveux.[5] À cela s’ajoutent les problèmes respiratoires, cardio-vasculaires et  dermatologiques constatés. Chaque jour, ils sont exposés à des doses  dangereusement irréversibles, voire mortelles.[6]

Le but était de témoigner du présent, car je privilégie  le goût du réel, le documentaire. Dans mes images, j’ai recherché une  attitude non pas neutre, mais naturelle, dans le but d’éviter que les sujets  cherchent à contrôler leur image, qu’ils posent devant l’objectif. Je les ai  photographiés dans leurs lieux de travail, avec une liberté de cadrage qui m’est  propre. J’ai voulu ainsi donner une vision synthétique du  phénomène.[7]

Conscient de toutes ces données, le photographe se fait  le témoin des conditions de travail de ces travailleurs, victimes d’une  mondialisation dévorante et impitoyable. Il rend compte de la dureté des  manipulations répétées, de la déshumanisation d’un système économique injuste,  de l’exploitation des hommes qui risquent leurs vies chaque jour dans ces amas  d’ordinateurs périmés. Une déshumanisation contre laquelle Ouedraogo se bat. Il  réalise de nombreux portraits des travailleurs qu’il a rencontrés et avec qui il  a discuté. Des hommes et des enfants aux visages blessés et désenchantés par ce  système. Ils évoluent dans un paysage formé de métaux et de plastiques, de boues  et de fumées toxiques. Le photographe montre comment la vie s’est instituée dans  cette décharge infernale : Le bétail venant brouter parmi les ordinateurs, les  mouettes qui rodent dans les airs, les ponts de fortune construits au dessus des  déchets, les villages formés autour, le marché aux légumes et les parties de  football en fin de journée. Malgré tout, la vie s’impose. Une vie en suspend,  mise en péril par un système économique déséquilibré. Un système présent dans  cette drôle de relation qui s’est tissée entre les hommes et les machines. Les  images traduisent parfaitement cette relation, à la fois sensorielle (le  toucher, l’odorat, la vue, l’ouïe) et essentielle à leur survie. Il s’agit alors  de trier et de brûler pour survivre.

En 2010, il revient au Burkina Faso et s’attaque à un  nouveau site où les activités en cours mènent à des drames humains et  écologiques. Il s’agit d’un terrain granitique à Pissy, près de Ouagadougou. Une  carrière en activité depuis l’époque coloniale puisque la roche était extraite à  ce moment là pour la construction des chemins de fer. Aujourd’hui, la carrière  est toujours en exploitation, elle s’est progressivement étendue et empiète  dangereusement sur les terrains agricoles environnants. Les agriculteurs et  leurs familles se transforment malgré eux en casseurs de cailloux. Les activités  vivrières disparaissent au profit de la carrière qui engloutit la vie sur son  passage. Alors que la terre devrait verdir et nourrir, elle ne fournit que  douleurs et cailloux. A cela s’ajoute des conditions de vie et de travail  déplorables. Des pneus en caoutchouc brûlent continuellement afin d’entretenir  un puissant feu, une chaleur nécessaire techniquement pour extraire le granit.  Des feux d’où jaillissent des fumées toxiques auxquelles les travailleurs  (hommes, femmes et enfants) sont exposés chaque jour. Le photographe retrouve  les mêmes enjeux économiques et les mêmes conséquences sanitaires et  environnementales que sur la décharge d’Agbogbloshie. Deux sites, parmi tant  d’autres, où les vies humaines sont littéralement broyées par un travail  harassant et des conditions inhumaines.

Dans  l’Enfer du Cuivre est un  appel à une prise de conscience internationale des conséquences néfastes sur la  santé des populations déconsidérées, oubliées. Mais aussi sur l’environnement  puisque l’eau, les sols et l’air sont intoxiqués. Le Ghana, comme d’autres pays  africains, est considéré comme un terrain-poubelle de l’Occident. Une situation  insupportable et illégale que le photographe dénonce avec une colère présente  dans chacun de ses clichés. Un travail documentaire de fond qu’il a poursuivi  avec Erreur Humaine, une série  présentée au sein de l’exposition collective de la photographie panafricaine.  Réalisée dans la décharge publique d’Akouédo  à Abidjan (Côte d’Ivoire) en 2010, Erreur Humaine traite de l’inconscience  des pouvoirs publics et de l’économie souterraine due à la revente des métaux et  autres matériaux de valeur. Une économie qui loin d’être une solution pour les  populations concernées, puisqu’elle accentue les problèmes mis en lumière par le  photographe. Les reportages de Nyaba Ouedraogo pointent du doigt les rapports  faussés instaurés entre le Nord et l’Afrique, où le continent noir est toujours  envisagé comme une terre à exploiter avec le plus grand mépris.

Julie Crenn.

Exposition Nyaba Léon Ouedraogo – L’Enfer du Cuivre – Casseurs de Granit, du 26 avril au 28 ami 2012, à la Galerie Particulière,  Paris.

Plus d’informations sur l’exposition : http://www.lagalerieparticuliere.com/artistes/oeuvres/10663/nyaba-leon-ouedraogo.

Source du texte – Afrique In Visu : http://www.afriqueinvisu.org/rencontres-de-bamako-2011-edition,679.html


[1] La décharge s’étend sur  plus de 10 kilomètres.

[2] NUR GONI,  Marian. « Entretien avec Nyaba Ouedraogo » in Africultures, juillet 2011. En ligne : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=10322&texte_recherche=ouedraogo.

[3] Les  collecteurs (âgés de 10 à 25 ans) gagnent, au mieux, un euro par  jour.

[4] NUR GONI,  Marian (2011).

[6] Le  photographe confie : « Après ma première journée passée dans la décharge, j’ai  éternué toute la nuit, mon nez coulait. Des enfants m’ont raconté qu’ils  crachent du sang ou ont des maux de tête violents après avoir respiré la fumée  noire qui flotte au-dessus de la décharge. » Voir : http://archive.photographie.com/?pubid=105483

[7] OUEDRAOGO,  Nyaba Léon. « Dealers of Copper ». Aglogbloshie, Accra, Ghana. En ligne : http://www.topicsplatform.net/no/ghana/index.htm

Visuels  : 1.Sans  titre, série L’Enfer du Cuivre, C-Print, 120 x 160 cm, 2008. Courtesy La Galerie  Particulière. / 2.Sans titre, série L’Enfer du Cuivre, C-Print, 70 x 100 cm, 2008. Courtesy La Galerie Particulière. /3.Sans  titre, série Casseurs de Granit, C-Print, 120 x 160 cm, 2011. Courtesy La Galerie  Particulière .

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