ETRANGE CARGO : « BODIES IN THE CELLAR », DE VINCENT THOMASSET

ilanit_illouz

Vincent Thomasset : Bodies in the Cellar / Etrange Cargo / Ménagerie de verre / 12 – 16 mars 2013.

Vincent Thomasset fait son cinéma à la Ménagerie de verre. Le metteur en scène poursuit son exploration des codes de la fiction et signe une partition physique et vocale, minutieuse et exigeante. Sa pièce abat les cartes, met les spectateurs en présence de la fabrique artisanale d’une représentation, et, se plaçant sous le signe d’un classique des années 40, ménage des espaces de liberté pour que chacun puisse se construire son propre film.

Le printemps arrive plus tôt que prévu à la Ménagerie de verre, et ce grâce aux propositions réjouissantes d’Etrange Cargo, parmi lesquelles deux nouvelles créations pour cette édition 2013. « Bodies in the Cellar » ouvre le bal. Son ton frais et ludique, soutenu par un énorme travail d’écriture et porté par des performeurs hors pair, s’accorde parfaitement à l’esprit du festival.

Vincent Thomasset se lance dans un pari audacieux. Il choisit de déconstruire un monument de l’époque glorieuse de l’entertainment américain, Arsenic and Old Lace de Frank Capra, adaptation hollywoodienne d’une pièce du même titre ayant connu un grand succès sur les planches à Broadway. C’est la version filmique qui suscite l’intérêt du metteur en scène, et notamment, selon ses propres aveux, la partition physique halluciné de Cary Grant.

Il y voit également l’occasion de travailler les décalages et les déplacements formels et sémantiques qui lui sont chers. Sa nouvelle création séduit tout d’abord par la formidable adresse d’une écriture scénique qui fait éclore dans les interstices de la fiction des moments jubilatoires.

Les spectateurs, saisis par l’étrangeté de la proposition, se laissent vite prendre au jeu. Des souvenirs et une certaine nostalgie du cinéma muet, le plaisir de se glisser dans un studio de bruitage, la dialectique cocasse entre la VO et la VF, entre le spectacle vivant et le cinéma, tout ceci alimente une pièce qui manie avec maitrise les codes de la construction filmique pour mieux éclairer un territoire de la représentation théâtrale où tous les glissements semblent possibles, du stand up comedy au spectacle de marionnettes. La sarabande des facéties est brillamment menée par les performances vocales de Jonathan Capdevielle.

Le véritable tour de force de cette création consiste à questionner nos habitudes de spectateur, tout en évitant une démonstration lourde, absconse, attachée à un formalisme barbant. Le metteur en scène est sur le plateau, il dirige les interprètes de son pupitre, appuie des intonations, les fait parfois reprendre, par moments, il accélère à coup de didascalies l’avancée de la narration. Le plaisir ludique est communicatif. Une véritable stimulation de la propension fictionnelle en découle, et il importe peu qu’on ait déjà vu le film ou pas. Outre la virtuosité de l’écriture, il faut saluer la performance des interprètes. La plasticité du visage de Lorenzo de Angelis trouve son parfait pendant dans les modulations surprenantes de la voix de Jonathan Capdevielle et c’est un régal d’observer le jeu de ce dernier qui donne une double épaisseur aux différents personnages.

Dans la salle basse de la Ménagerie de verre, Bodies in the Cellar fait germer autant d’embryons d’histoires, de voix, de corps, d’écriture, dans un jeu débridé et vivifiant.

Smaranda Olcèse

Ce spectacle sera donné également le 17 avril prochain pour le Festival ARTDANTHE au Théâtre de Vanves.

Photo copyright Ilanit Illouz

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