HOMMAGE A MIKE KELLEY

DISPARITION / MIKE KELLEY

Mercredi 1er février, Mike Kelley a été retrouvé mort dans son  appartement à Los Angeles. A seulement 57 ans, il était devenu un artiste  incontournable de la scène américaine et internationale. Nous avons souhaité rendre hommage à l’artiste et à son œuvre multiforme, philosophiquement  bordélique et follement critique.

Né à Détroit en 1954, il débute une formation  artistique, entre 1972 et 1976, à l’Art School (Université du Michigan). Alors  qu’il s’imprègne des courants historiques, il baigne parallèlement dans la  culture underground de Détroit (musiques alternatives, bande dessinée etc.) et  fonde un groupe artistique « anti-rock », Destroy All  Monsters avec Jim Shaw, Cary Loren et Lynn  Rovner. Une dualité qu’il va par la suite appliquer à sa propre  pratique dans les années 1980. A la fin des années 1970, il décide de  s’installer à Los Angeles pour poursuivre ses études au California Institute of Arts de  Valencia. Là, il se retrouve au contact de pratiques  bouillonnantes (féministes entre autres) de Raymond Pettibon, Paul McCarthy, Catherine  Opie, Jennifer Pastor, Charles Rayou encore Jason  Rhodes.  Il  rencontre notamment Tony Oursler avec qui il fonde le groupe The Poetics, où ensemble ils produisent  une œuvre protéiforme (peintures, sculptures, photographies, sons, vidéos et  performances) basée sur l’esprit et l’esthétique punk. Une œuvre  délurée, sexuelle, trouble et anticonformiste. Si au départ, il met l’accent sur  la réalisation de performances et la production de pièces musicales, il va  ensuite rapidement propager son esthétique du collage et de l’assemblage :  installation, peinture, sculpture, vidéo, son etc.

Inspiré par la littérature de la Beat Génération et  notamment de la technique du cut-up élaborée par William Burroughs, Mike Kelley  instaure un système esthétique fondé sur l’assemblage d’éléments contraires,  impopulaires, des objets trouvés, préfabriqués ou produits de manière  artisanale, amateur. Ainsi il utilise le crochet, des objets ready-made, des  éléments naturels, des néons, des animaux empaillés, des tapis et bien d’autres  matériaux disparates, improbables et dissonants. Les registres de lecture  s’entremêlent et créent une confusion visuelle assumée et revendiquée.  Un désordre qui allait à l’encontre des  formalistes et conceptuels californiens que Kelley refusait car il considérait  leur approches trop réductrices, lui prônait « une approche maximaliste », ouverte à tous les pans de la culture.[1] Il se fait remarquer en 1982  avec une performance-installation intitulée Monkey Island une  performance/installation (réalisée au Metro Pictures en 1982 et à la Rosamund  Felsen Gallery en 1983). Une œuvre née suit à une  visite d’un zoo et à l’observation des singes enfermés. Car à travers chacune de  ses installations et actions se trouve une part biographique, qu’il ne dévoile  jamais totalement. Il dit : « Je n’ai jamais voulu  abandonner le biographique ; je ne voulais simplement pas qu’il soit  prédominant. Je voulais traiter les choses biographiques de manière égale à la  fiction, mélange d’éléments fictifs ou d’éléments historiques ».[2]

Ces œuvres sont pensées comme des projets, des  plateformes de réflexion (Plato’s Cave, Rothko’s Chapel,  Lincoln’s Profile, Half A Man, City etc.) axées autour d’un thème, d’un  univers, d’un évènement, d’un personnage. Un objet d’étude autour duquel  l’artiste déploie différents médiums jusqu’à la création d’un univers personnel,  fabriqué, souvent visuellement brouillon voire chaotique. Des pièces où Mike  Kelley mélange à la fois des comportements brutaux, déshinibition, pulsion, violence et subversion, à une solide  réflexion théorique, philosophie, politique et sociale.« Alors  l’interprétation devient un problème, j’aime ça…» ; « La plupart de mes travaux  sont à propos des catégories, à propos de la confusion de catégories…».[3] Chacune de ses œuvres est emblématique de notre société  consumériste, engloutissante, où l’individu se conforme ou se perd. Dans un vacarme esthétique, il  s’attaque aux problématiques de genre, de classe et de race, en pointant  notamment des doigts les normes sociétales auxquelles l’individu est prié de se  conformer. Des normes qu’il refuse et qu’il déconstruit avec violence et  humour.

Grâce à sa triple casquette, artiste, commissaire et  professeur, Mike Kelley jouait un rôle moteur pour la scène ouest américaine et  pour toute une génération d’artistes. Depuis les années 1980, il est parvenu à  créer des ponts entre l’art et l’artisanat, l’art et le monde du travail  (ouvrier), entre les registres et codes culturels. Au moyen d’une pensée de la  relation, de l’analogie et des contradictions, il mixe ses influences au sein  d’une œuvre apparemment chaotique. Un chaos d’où surgit la critique, le  commentaire ironique ou l’opinion politique. Entre traditions (culturelles et  populaires) et anarchie, Mike Kelley a livré pendant plus de trente ans une œuvre complexe, riche et déroutante. L’œuvre d’un artiste à la fois exubérant et  mélancolique, qui n’a cessé de mettre en pratique une esthétique « du ratage », multiréférentielle, subversive et incroyablement  passionnée.

Julie Crenn

Plus d’informations sur l’artiste : http://www.mikekelley.com/.

VOIR LA GALERIE : LES OEUVRES.

Gagosian Gallery : http://www.gagosian.com/artists/mike-kelley/

A lire : http://nymag.com/daily/entertainment/2012/02/jerry-saltz-on-the-perverse-master-mike-kelley-19542012.html.


[2] Ibid.

[3] «Mike Kelley» in Art press, Paris, octobre 1999, p.  14-17

Visuels : 1- Carmen, photographie / 2- « Ah. . . . Youth! » 1991 / Copyright Mike Kelley / Courtesy Gagosian Gallery

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