REVOLUTION VS REVOLUTION / BEIRUT ART CENTER

Correspondance à Beyrouth.
Exposition « Revolution VS Revolution » / jusqu’au 30 mars 2012 / Beirut Art Center / Beyrouth / Liban.

« We see the treasure of our multitude, and chase
Away hubris and our fantasies.
We then become contagious
Like a light song on the screen, or a simple dream »
Fadi El Abdallah

Au sud de la capitale libanaise, parmi quelques friches industrielles, non loin du souk du dimanche, quinze artistes d’un peu partout se tutoient depuis début février, au Beirut Art Center. Pas de bousculades à l’exposition Revolution VS Revolution.

Tant mieux, il faut du temps, de l’espace, beaucoup de disponibilités pour appréhender ces précieux regards de photographes, vidéastes, dessinateurs, plasticiens, poètes dérobant à la scène de l’Histoire une autre formule, un autre dialogue. Regards sur ces renversements de régime, d’idéologies, mobilisations collectives depuis cinquante ans. URSS, Apartheid en Afrique du Sud, révolution culturelle chinoise, Iran, Nicaragua, mai 1968… les révolutions d’aujourd’hui se balbutient entre les œuvres. Et les spectres de jasmin, d’hiver ou de printemps accompagnent lentement le spectateur. Silence éloquent sur les mouvements arabes. Enfin de la discrétion et du recul.

Reframing History

Quand la foi déplace les montagnes, l’exposition s’ouvre sur cette initiative-performance pleine de poésies et de promesses. Architecte de formation, Francis Alÿs  a réalisé en 2002 une vidéo de son propre projet au Pérou : mobiliser cinq-cents volontaires pour déplacer 10cm de dune…

Place à une œuvre photographique chevauchant les temporalités. L’insurrection populaire de 1978 contre Samoza au Nicaragua, alors photographiée, s’installe en plein cœur d’un Nicaragua de 2004. Susan Meiselas a choisi d’exposer les photographies sur les mêmes lieux, « re-framing History », une histoire de recadrage ? Sur la fiche pédagogique mise en ligne,  « feuille d’exercice » pour mieux interagir avec les œuvres, le Beirut Art Center pose ceci :

Pensez-vous qu’un tel projet soit possible au Liban ? Pourrions-nous aujourd’hui accrocher des photos de la Guerre civile aux endroits où elles ont été prises ? 

Autre travail sur deux temps, celui de Hai Bo à partir de la révolution culturelle chinoise, They No. 3 & Three sisters. 2000. Côte à côte la photographie de cinq soldats de l’armée rouge ; en 2004 il n’en reste plus qu’un, la même moustache plus prononcée, en cravate et veste en cuir.

Marxism today Prologue

La vidéo de Phil Collins présente trois interviews de professeurs sur le marxisme-léninisme en Allemagne de l’Est. Entre ces regards d’aujourd’hui s’intercalent des images d’archive d’avant la chute du mur. Images de propagande d’un cours où l’Histoire se réécrit à la craie blanche. Images stimulantes d’une jeunesse enthousiaste, active à la faille des idéologies.

Après mai 1968, focus photojournalistique sur la révolution iranienne. 11 février 1979 quand « Téhéran se réveille avec la gueule de bois » (Abbas). Sur le mur d’en face, Red, photodocumentaire de Boris Mikhailov de 1968 et 1975. Le rouge, toujours le rouge, par-delà le soviétisme. Le rouge de la provocation, de la fête, du vin, de la victoire ou du décès… le rouge « so that one could tell the soviet from the ‘human’ ». Le rouge du maillot de bain d’une grand-mère se baissant pour cueillir des herbes. Red cocasse.

Ubu-caméra

Détourner les conventions, arracher une vérité nouvelle. Avec du temps et du dessin, William Kentridge revient sur l’Apartheid en 1997 : il faut voir Ubu tells the truth, film d’animation en noir et blanc. Le roi du pouvoir et de l’ignorance (celui d’Alfred Jarry) versus le trépied d’une caméra ; lequel a vu et témoigne maintenant des images d’archive des suspects politiques tués, torturés et jetés des buildings. Satire de la « Commission de la Vérité et de la Réconciliation » en Afrique du Sud établie en 1996. Elle prévoyait d’amnistier entièrement bourreaux et criminels en échange d’une confession publique. Ainsi le trépied-héros se transforme-t-il en œil, devenu coupable de n’avoir pas agi. La tête d’Ubu sur le trépied.

Même pays au décor bien réel cette fois-ci : un camp de squatters à Johannesburg. La vidéo est celle d’une performance de Steven Cohen. L’artiste sud-africain s’était invité en chandelier-tutu au milieu des squatteurs. C’était en 2001 lors de la destruction de ce camp. Horriblement beau quand « le glamour de Hollywood rencontre l’horreur d’un camp de concentration » selon ses propres mots.

Pervertir les conventions, encore, interroger les mémoires fixes, les artistes n’en finissent pas de détraquer les consciences. « Doute » est une série de dessins de propagande dont chaque slogan est suivi d’un point d’interrogation. Une histoire de points d’interrogation la réponse des artistes ?

L’expo n’est pas terminée. Halte sur une table en bois parsemée de vieilles photographies argentiques, noir et blanc. Petites vignettes bordées de blanc, premiers essais de Tacita Dean à Prague, 1991. Clichés rapides, plus ou moins bien cadrés, avertis et attachants. Les pellicules s’étaient endormies sur le chevet de l’artiste. Quatorze ans plus tard, Tacita Dean les redécouvre comme ceux d’une lointaine génération. « Reliques de Prague ».

Plaisir celui de s’assoir et de manipuler ces photographies, de les consulter comme on consulterait celles de son grand-père. 1991 seulement.

Economy of love.

Depuis 2002, Marysia Lewandowska et Neil Cummings ont voyagé à travers la Pologne en quête de films au temps de Walesa et consorts. Entre 1950 et les années 80, le gouvernement distribuait des caméras pour que les travailleurs puissent réaliser des films. Histoire d’organiser leur temps libre. Les deux artistes ont donc réuni trois films politiques (pro-régime), plus critiques et un peu de ceux qui tentaient d’imiter les plus grands, du cinéma d’avant-garde. Tous trois sont projetés sur trois petits postes de télévision.

La dernière salle réunit des vidéos amateurs de cette même Pologne. Autre regard de l’Histoire. Celui qui prend son temps et filme autre chose que ce que la mémoire a bien voulu retenir. Des files d’attente, des longues séquences de travail manuel, d’ennui, d’angoisse et de désirs… Des scènes de tous les jours qui font la grande Histoire.

“Alive or dead we write”

En forme de secret, un livret magique s’est dissimulé parmi les œuvres visuelles : Something dies within us today. Aujourd’hui 2012, Fadi El Abdallah, poète critique et écrivain libanais, relit les révolutions du monde arabe avec la sagesse des métaphores. De ces « couleurs qui débordent des bouches et repeignent les surfaces sourdes », celles des abîmes et des révolutions qui coulent entre les veines et les nervures. Trop de mots, trop de mêmes mots pour un phénomène plus lointain, qui a eu lieu un peu partout depuis « les entrailles du peuple arabe ». Entre autres soulèvements, la cause palestinienne. « Perhaps the only exception was the Palestinians… ». Dernier silence.

Who knows what their wombs will deliver ?
What does the umbilical chord will strangle ?
(…)
With revolution does anything within us die ?

Flora Moricet

Exposition jusqu’au 30 mars 2012 / Beirut Art Center / Beyrouth – Liban

http://beirutartcenter.org/exhibitions.php?exhibid=233&statusid=1

Visuels :
1- Boris Mikhailov, Red, 1968-75
2- Steven Cohen, Chandelier, 2001
3- Abbas, Iran Revolution, 1978-9
4- Susan Meiselas, Reframing History, NICARAGUA. Juillet 2004.

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