MAGUY MARIN : « SPINGSPIELE », LA VOIX DES AUTRES
Maguy Marin, Spingspiele / TCI, Théâtre de la Cité universitaire / 26 mai > 7 juin 2014.
Un homme porte au-devant de son visage les visages de dizaines d’autres. Comme on tourne les pages d’un livre, il arrache d’un petit pupitre qu’il tient par la bouche les photos en noir et blanc de personnes connues ou inconnues. Portraits tombant sur le sol dans un mouvement d’automne, ces autres s’égrainent au rythme lancinant de ses pas. Leur image fugace s’imprime le temps d’un instant dans le corps de l’acteur qui, vêtant et dévêtant divers vêtements suspendus sur des porte-manteaux, incarne devant nous une galerie de portraits qui semblent flotter. Cependant, loin des galeries de portraits officiels, ce spectacle visuel nous rapproche de l’être humain.
Au contraire de ces précédentes pièces qui mettaient en scène des groupes de corps en mouvement, Maguy Marin a ici choisi d’incarner la foule à travers le corps d’un seul homme. Fidèle à ses habitudes, elle construit des images troublantes qui appellent à un engagement humaniste. Contre le corps, elle rend visible nos mouvements infimes, ceux que l’on retrouve nichés au creux du quotidien et de l’habitude. Ils trahissent souvent une prise de position qui engage l’individu dans le monde. On la devine plus qu’on ne la voit car elle est celle des petits gestes : une façon de marcher, d’ôter son corsage, de nouer sa cravate.
La façon de s’habiller et de se dévêtir est ici plus importante que le costume lui-même car elle dit des choses que l’on ne voit pas. En effet, ces gestes transcrivent aussi bien l’intimité que la solitude de l’individu car, bien que la manière dont on a de s’habiller nous présente au monde, ces gestes sont rarement sujet à visibilité car ils n’entrent pas dans le théâtre du monde. Ces gestes sont de ceux que l’on garde en coulisse. Cette somme kinesthésique nous fait donc entrer dans un contact intime et fragile avec des individus que l’on ne connait pas, et à travers leur mise en scène simple et contrainte, nous assistons à un hommage à la personne humaine en général.
Plus que la création de mouvements qui feraient signe, Maguy Marin préfère retenir le corps dans le creux de ces gestes qui, mis bout à bout, finissent par dessiner sur scène un travelling cinématographique incarné. Toujours dans un rapport frontal au public, l’acteur porte des corps à notre étonnement dans une incessante métamorphose dont ne voit pas la fin. Plus que les portraits d’anonymes que de nombreux photographes à la mode aiment à exposer dans la rue ou dans les galeries aux murs blancs, cette somme de portraits nous touche car elle s’incarne et prend l’espace. Elle nous raconte des histoires infimes par le biais de sensations qui appellent en nous une empathie universelle.
Quentin GUISGAND
Dates à venir :
– 17 et 18 juin > Festival Latitudes Contemporaines, Lille
– 19 et 20 septembre > Daejeon culture and arts center, Daejeon (Corée du Sud)
– 2 février 2015 > CNDC Angers
– 10 ou 17 mars 2015 > Centre culturel Michel Manet, Bergerac
– courant mars 2015 > Théâtre La Vignette, Montpellier
– Date à préciser en 2015 > Théâtre Garonne, Toulouse
Photos Benjamin Lebreton