BIENNALE DE LYON : « PLY » de YUVAL PICK
16e BIENNALE DE DANSE DE LYON : Yuval Pick « Ply ».
Depuis trois ans, Yuval Pick dirige le CCN de Rilleux-la-Pape, en banlieue lyonnaise. Outre des missions de sensibilisation, de formation et d’accueil en résidence, il propose aussi ses propres créations et notamment Ply, programmé lors de la 16e Biennale de la danse de Lyon.
Dans une boite noire (1), un grand tapis blanc. Cinq danseurs en costumes brillants se regardent, un premier danseur va au centre. Ils ont cinq corporalités radicalement différentes. Les corps se meuvent dans des énergies, dans des mouvements presque contradictoires. D’emblée, cette différence se mue en affront : les danses vont lutter.
Ils sont les uns contre les autres, tout au long de la chorégraphie. Pour reprendre le joli mot de Guitry, les danseurs sont contre, tout contre. Ils vont faire une battle de l’aérien. Qui arrivera à mieux s’asseoir sur l’air, à mieux englober l’espace ? Tout l’espace : dans la verticale, l’horizontale et la profondeur.
Beaucoup de la chorégraphie -peut-être même la totalité- repose sur la personnalité du danseur, son énergie propre et sa capacité à trouver le bon rythme entre son parcours, celui des autres et la musique. La rythmique du spectacle se forge aussi dans l’alternance de présence et de présence/absence du danseur. Ceux-ci étant tout le temps sur scène, en fonction des jeux de domination des uns des autres, ils ont la charge de s’effacer de la diégèse sans pour autant s’effacer du plateau ; le plus dur étant de revenir au centre sans force ou fracas.
Lazare Huet, danseur antagonique – une grande puissance dont émane une fragilité tendre et sensible – réussit à nous surprendre. Sa présence animale, sa corporalité assez lourde et sa douceur font de lui un danseur de velours. Une gestuelle particulière, très intime, le rend à la fois très reconnaissable, unique mais touchant à une certaine universalité grâce à cette belle fragilité.
Il est certainement possible de reprocher à cette pièce une certaine posture contemporaine. On pose pour la photo dans la complaisance de l’imagologie de la danse. La méthodologie de travail de Yuval Pick est en partie en cause. Celui-ci construit un parcours pour le danseur et non un mouvement pour l’écriture d’une pièce. De plus, si l’intérieur de chaque parcours est rempli de changements, la ligne du mouvement global du spectacle est relativement plane, peu accidentée. Le spectateur risque donc, s’il décroche de cette ligne, de ne plus raccrocher les wagons. Cet intérêt pour l’infra peut rebuter certain spectateurs qui ne se sentiraient pas autorisés à rentrer dans le spectacle, celui pouvant être vu comme la superposition de cinq parcours sans volonté de renouveler en profondeur l’art du mouvement. A trop se pencher sur l’infra, on risque de faire oublier qu’on a un regard accru et clair sur l’extra, ce qui est le cas.
On peut se poser légitimement la question du rôle du chorégraphe, de l’artiste : doit-il systématiquement produire une œuvre qui bouleverse les codes et l’esthétique de sa discipline ? Ply n’est pas un spectacle qui froisse intégralement le drap de la danse pour lui donner une nouvelle forme. Il fait un pli, clair et sinueux, grâce à la fraîcheur et à la générosité de ses interprètes.
Bruno Paternot
envoyé spécial à Lyon
Ply : Pièce pour 5 danseurs — Création 2014 — Durée 1h env / Chorégraphe : Yuval Pick / Musique : Ashley Fure / Danseurs : Madoka Kobayashi, Anna Massoni, Alexis Jestin, Antoine Roux-Briffaud et Lazare Huet — Assistante : Sharon Eskenazi / Création costumes : Magali Rizzo avec Pierre-Yves Loup-Forest / Création lumières : Nicolas Boudier / Réalisation musicale : Manuel Poletti / Régie son : Raphaël Guénot / Accueil : CCN de Rillieux-la-Pape, Biennale de la danse.
Les dates de tournée :
http://www.ccnr.fr/fr/ccnr/page/la-compagnie/calendrier-de-tournee
1 : On appelle « Boite noire » le dispositif scénique composés du rideau, des pendrillons (petits rideaux latéraux), d’une frise (en hauteur, pour ccher les projecteurs) et du rideau de fond. Ces rideaux permettent d’encercler la scène d’un cadre noir qui permet d’accentuer l’illusion.
« Ply » photo @ Amandine Quillon.