VOLMIR CORDEIRO : « INÊS », ACTORAL 14

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Volmir Cordeiro : Inês / Montevideo, Marseille / dans le cadre du festival Actoral / 25 – 26 septembre 2014.

Elle est belle et puissante, langoureuse, sensuelle, chancelante et capricieuse, elle remplit l’espace et déborde l’imaginaire, Inês. Volmir Cordeiro déploie tout son art pour qu’elle prenne corps et nous entraine irrésistiblement dans une envoutante expérience du regard et des sens, sur les chemins secrets d’une fiction partagée.

Le plateau est vide, éclairé, pleins feux. Une musique populaire éclate. L’obscurité gagne l’espace alors que le brouhaha du carnaval s’intensifie. La salle devient la caisse de résonance d’une fête qui a lieu ailleurs. Nous sommes plongés au cœur de cette déferlante d’énergie, à perdre pied déjà dans les limbes d’un espace-temps explosif, rythmé par des feux d’artifices, cris joyeux et salves de rires. La salle s’allume à nouveau, pleins feux encore. Le son s’arrête net – il continuera à se faire entendre de manière silencieuse, résorbé par la mémoire immédiate, réactivé, dans une foule de modulations indescriptibles, par la danse de Volmir Cordeiro, il nous accompagnera tout au long de la pièce.

L’artiste fait son entrée. Il longe les murs comme pour reconnaître ce qui fait l’enceinte, pour circonscrire l’espace. Son torse semble pris dans un ruban de tissus épars, aux textures et couleurs dépareillées. On pourrait penser à une chrysalide sur le point d’éclater pour que le papillon s’envole. Il y a surtout ces nœuds serrés comme pour tenir ensemble, comprimer, contraindre, donner une certaine consistance ramassée sur son secret.

Inês vient vers nous tout d’abord à travers la parole. Elle se glisse entre les mots, ondule déjà portée par la cadence des phrases. Volmir Cordeiro l’invoque, nous fait miroiter ses couleurs vives et son drapeau, rythme et feu dans le sang. La parole coule magnifiquement tournée, telle une louange qui à la fois multiplie les indices – Inès est chorégraphe – et brouille les pistes – Inês a trouvé sa syntaxe. La parole agit. Les traits d’Inês deviennent saillants. La tension monte. Par sa voix posée, chantante, de son regard aimanté, Volmir Cordeiro tient l’audience. La salle se remplit d’Inês, de sa présence diffuse et désormais obsédante. Il nous enjoint à la regarder. La collusion des différents registres de parole est source d’efficacité symbolique. Des courants secrets remuent le propos, laissant parfois s’échapper quelque chose de la tourmente d’une créature qui brûle d’accéder à la visibilité. Inês n’est jamais finie et pourtant elle est déjà là, sur le plateau vide, dans la frontalité d’un espace entre, intensifié par la parole.

Les barrières tombent, l’intérieur et l’extérieur se confondent dans un mouvement d’ouverture insensé. Inês ouvre son corps (…) tout son corps (…) tout ! La porosité fondatrice entre les êtres, entre les mondes, est de mise. Volmir Cordeiro fait l’impasse de son regard – ce ne sont pas ses yeux, désormais couverts et fermés par de fines bandes de scotch noir aux brillances extatiques, qui vont l’aider dans sa recherche d’Inês. « Il ne me suffisait pas de la regarder, je voulais surtout m’approcher d’elle. J’ai quitté mon rôle de regardeur et j’ai commencé à vivre avec cet être de chair. Il ne m’a pas suffi de la capter, il m’a fallu l’avaler », avoue le chorégraphe. Vertiges d’un espace aveugle, affranchi des lois de la géométrie euclidienne, traversé par des dimensions insoupçonnables, tourbillonnaire, en proie à d’impétueuses accélérations de présence.

Inês ne peut être que multitude. D’entrée de jeu, rapide, brusque, imprévisible, capricieuse – par quel bout l’attraper, qui se dérobe sans cesse ? Les nœuds sont défaits, un pan de tissu descend le long des jambes, enveloppant des pas de danse tout en rondeur. Volmir Cordeiro passe avec une fascinante aisance d’une texture de corps à une autre, attrape au vol des grappes de sensations, ne stabilise guère les images qui l’habitent, cherche, augmente les battements d’une présence au bord de l’emprise totale. Sa quête est haletante, à en perdre le souffle, source intarissable de courants d’énergie et de désir. Il nous entraine dans ses tentatives sans cesse recommencées, dans sa montée irrésistible, il nous attend parfois sur le chemin périlleux de sa recherche, dans les strates intemporelles de la mémoire des chairs, il nous rattrape dans son jeu sur la ligne de crête entre le visible et l’irreprésentable, il nous montre Inês dans toute sa splendeur.

Inês est incandescente. La chorégraphie minutieuse des lumières imaginées par Séverine Rième la revêt d’ombres colorées. Inês se consume. Le temps vole trop vite. Volmir Cordeiro cherche à la retenir, la conjure en vain, elle se dissipe dans le brouhaha d’une fête lointaine, jusqu’à la prochaine fois.

Smaranda Olcèse

Inês sera donnée dans le cadre du festival Les Inaccoutumés, à la Ménagerie de verre les 4 et 6 décembre.

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Photos Margot Videcoq

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