ENTRETIEN : SAMUEL WATTS

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ENTRETIEN : Samuel Watts / « 14 » de la Cie Didier Théron.

Suite à la création de 14 par la Compagnie Didier Théron, nous rencontrons Samuel Watts, danseur dans le projet et sur les autres spectacles en tournée de la compagnie montpellieraine. Pièce composée de quatre parties distinctes, 14 est une évocation de 1914 vu par les contemporains (le soldat, le peuple, les généraux) et de 1914 vu par la jeunesse cent ans plus tard. Le jeune danseur nous reçoit chez lui, en pull aux imprimés de félins -comme sa danse- et nous livre sa conception de la danse, de le troupe et du travail.

Inferno : Evoquons votre parcours. Comment est née l’envie d’en faire un métier ?
Samuel Watts : J’ai commencé la danse à cinq ans et j’ai dit à mes parents que quand je serais grand je serais danseur. Ce n’est pas très compliqué en fait ! Ce n’est qu’une parole d’enfant mais ça résonne. C’est grand ado que j’ai découvert que c’était ça que j’avais envie de faire. C’est pour ça que je suis parti de chez mes parents pour faire des écoles. Après, tu as le nez dedans et tu n’as pas de désir pour autre chose qui se réveille parce ça, c’est déjà là, ça devient inhérent à ton existence.

Vous employez le mot « ça ». Qu’est ce que « ça » veut dire ?
C’est un tout petit mot pour beaucoup de choses. Le fait d’être danseur fait entrer dans un état (j’imagine que c’est une spécificité, puisque je ne suis pas « pas danseur »), c’est une conscience de son corps, de l’espace ; une conscience du monde qui part de soi et qui est très éveillée. Si on me l’arrachait, « ça », se serait beaucoup de douleur, un déséquilibre total. Je n’aurais plus de repère, je pense.

Vous chantez, vous peignez. Est ce que ce sont les mêmes sensations, les mêmes ressorts, même si ce ne sont pas des disciplines uniquement corporelles ?
Tout passe par le corps. Ce que je peint, ce sont des corps. Chanter c’est une sensation physique incroyable. Je joue de la musique traditionnelle qui est faite pour danser et ce n’est pas pour rien que ce soit cette musique-là qui me touche. Ce sont des choses périphériques qui nourrissent ce corps et tout part du corps. Ce sont des sortes d’aller et venues.

Est ce que vous vous considérez comme un professionnel et si oui, depuis quand ? Depuis que vous avez décidé d’y consacrer votre vie, depuis que vous avez intégré une école, depuis que vous êtes intermittent ? A quel moment on se pense professionnel de la danse ?
C’est un travail depuis que je suis sorti de l’école. Cela a été du travail et maintenant c’est un travail parce que je gagne ma vie avec. Mais je considère la peinture et le chant comme un travail, ça se travaille ! Après, la danse, c’est mon métier. Mais je pense qu’on est danseur même si on n’est pas professionnel. Il y a des gens qui connaissent leurs corps, qui maîtrisent l’espace. On en voit le samedi soir en boîte, des gens qui sont de vrais danseurs alors qu’il sont informaticiens. Mais comme ils n’ont pas de formation, ils n’ont pas conscience d’être danseur.

Ca devrait s’apprendre ? A l’école ?
Oui, carrément. L’expression corporelle, c’est quelque chose de très important. Il n’y a qu’a voir les interventions qu’on fait en milieu scolaire. Il y a toujours quelque chose qui se passe. Soit par un refus total qui montre bien qu’on touche quelque chose d’important. Mais, surtout avec des adultes, on a l’impression de leur offrir leur corps sur un plateau, alors qu’ils l’ont déjà. Parce qu’il y a dans la danse quelque chose de l’ordre du loisir. Pas de texte à apprendre ni de partition à maîtriser. C’est un endroit de libération. Quand on libère son corps, on libère beaucoup de choses. Ca devrait être présent dans la formation, pas forcement sous le nom de danse, mais d’apprendre qu’on a un corps devrait être très important. On les voit les gens qui ne sont pas à l’aise dans leurs corps, ça leur pourrit la vie alors qu’ils ont une condition sociale confortable.

Pour la Compagnie Didier Théron, vous donnez des ateliers.
Je donne des ateliers via les compagnies avec lesquelles je travaille, dans des partenariats avec des écoles, collèges, lycées. En général, les enseignants amènent cela très bien et sont très volontaires. Et les jeunes ne le sentent pas comme un cours de sport, qui reviendrait toutes les semaines. Il y a quelque chose de l’ordre de l’exceptionnel.
Mais on a des modes d’étirement, d’échauffement, de respiration qui sont les mêmes que pour les grands sportifs.

Comment avez-vous connu Didier Théron ?
J’ai auditionné pour une reprise de rôle de Shangaï Bolero juste avant de finir l’école à Marseille et c’est comme ça que j’ai rencontré Didier.

Pourquoi vous a-t-il choisi vous ?
Je suis très chien fou et comme sa danse est très physique, qu’elle nécessite du souffle, on s’entend bien.

Comment se sont passées les répétitions ?
Il y a huit semaines de création. Le solo et le duo était déjà pensés depuis longtemps. Quand on a commencé à écrire, on a commencé à retrouver des choses de Hara-Kiri, un précédente pièce de Didier Théron. Sans le savoir, il avait déjà inventé une partie de la pièce. On a repris cette pièce-là et on a rajouté Le Silence, qui est la dernière et quatrième partie. Mais tout a bougé par rapport à Hara Kiri avec l’arrivée de de nouveaux danseurs. Chaque solo appartient à chaque danseur, écrit sur le vif avec Didier. Il y a des rythmes qui ont changé.

Le spectacle bouge parce c’est du spectacle vivant ou bien c’est plus marqué qu’avec d’autres chorégraphes ?
De toute façon avec Didier il y a des choses qui changent à chaque représentation. A l’intérieur de la rythmique et dans la qualité, il y a des choses. Michele Murray, qui a été notre assistante et qui a vu la création à la scène nationale de Perpignan et la dernière en février à Montpellier, trouvait que la dernière partie avait beaucoup bougé. En l’espace de trois mois et de dix représentations, il y a le temps de faire jouer les choses à l’intérieur, à être plus endurant, à faire bouger nos corps de manière plus forte. Les histoires qu’on se raconte nous à l’intérieur, mes petites mythologies personnelles m’aident à traverser la pièce et aident à bouger, à changer. Il y a des choses que je comprends autrement qu’à la première, il y a des intensités qui bougent. Il n’y a pas qu’à l’extérieur que ça change. Mais parce que Didier nous laisse cette liberté là aussi.

Le danseur ne serait donc pas qu’un gesticulateur ?
Ah ben non, heureusement ! Ce n’est pas qu’un technicien qui applique. Même chez les chorégraphes les plus dirigistes, on ne peut pas être neutre. Sur Le Sacrifice (ndlr : 3e partie de la chorégraphie, 1914 meurtrie dans sa jeunesse), on est six et on danse tous très différemment cette pièce. Même si c’est la même chorégraphie, les mêmes mouvements, les mêmes postures chacun est libre d’y mettre ce qu’on a à y mettre.

Vous travaillez régulièrement avec Didier Théron. Comment se passe le compagnonnage ?
C’est la 1ere création que je fais avec lui. J’ai repris des rôles dans Shangaï Bolero et les deux versions des Gonflés (ndlr : dont une nouvelle version va partir en tournée au Japon en 2015). Je connais le répertoire qui tourne en ce moment de la compagnie.

C’est une compagnie qui s’exporte beaucoup à l’étranger.
Moitié/moitié je dirais. Les gonflés c’est souvent en France et Didier a des partenariats en Australie, au Japon, en Croatie, en Allemagne… On voyage pas mal mais il y a aussi tout ce qui se fait en région. Il y a beaucoup de lieux partenaires et on s’investit sur le territoire. Didier n’a pas attendu de devenir une compagnie nationale pour aller prospecter à l’étranger. C’est chouette d’avoir une compagnie qui est connue et reconnue, c’est sensé être un gage de qualité mais ce n’est pas un but. L’important c’est d’évoluer dans un cadre qui nous plaît et qu’on a envie de défendre. La renommée n’est pas une priorité.

Quelle est la priorité ?
Il y a d’abord le travail du chorégraphe dans lequel on peut se reconnaitre. C’est toujours compliqué à gérer de porter le projet sur scène comme un poids. Quand ça devient un devoir et non un désir. Et l’autre chose c’est l’équipe. Les gens avec lesquels on est sur scène, les techniciens qui deviennent des amis. Je pense que c’est ça qui est important, plus que l’amour de l’art et le rêve qu’on se fait de devenir artiste. C’est important de travailler avec des gens qu’on aime, dans de bonnes conditions et dans des projets qu’on porte avec joie. Sinon ça ne sert à rien.

Les danseurs ont-ils encore la possibilité aujourd’hui de travailler dans de bonnes conditions ?
Si on ne regarde que les conditions financières des compagnies de danse aujourd’hui en France, non. Mais si on regarde l’honnêteté dans laquelle ont est employé, on peut y aller. Tant qu’il y a de l’honnêteté dans l’organisation et dans la paie, c’est une bonne base de conditions de travail. Il faut aussi que les chorégraphes comprennent qu’on est des êtres humains et qu’on a besoin de pauses. Il y a aussi des questions d’humanité, même si c’est bien organisé. C’est beaucoup une question d’atomes crochus et qu’on puisse se dire les choses, être honnête et franc. Les danseurs, ce sont beaucoup de petits egos ramassés au même endroit. On est plein de notre propre présence et il faut l’associer de manière douce et habile avec les autres présences très fortes. Surtout pendant les résidences de création, il faut apprendre à vivre ensemble.

Se reconnaître.
Ca peut te tomber un peu sur la gueule. Se reconnaître c’est découvrir une partie de soi. Le corps se met à vibrer. Il y a une question de physicalité. J’aime cet anéantissement du corps.

Il y a d’autres chorégraphes de l’anéantissement du corps dont vous reconnaissez le travail ?
J’ai fait Prêt à baiser d’Olivier Dubois. Je pense que les gens qui font Tragédie ou Révolution parlent de l’anéantissement du corps.

Sur les scènes, j’ai l’impression qu’on voit surtout un anéantissement du mouvement plus que du corps.
Il y a des chorégraphes qui sont beaucoup dans le mouvement, il y a une prolifération de mouvements et du coup il y a quelque chose d’anéantissant et de crevant, mais ça reste très dansé. Alors qye Chez Théron ou Dubois, on marche beaucoup, on se met sur la gueule. Il y a quelque chose de très radical : ce qui est important c’est de traverser, que le corps se réveille, soit frappé, qu’il se révèle. Le corps n’est pas enfermé dans une forme trop complexe. C’est drôle, on en arrive à reprocher aux chorégraphes de trop danser… Mais le « ça » c’est pas un assez grand mot. Il ne recouvre pas toutes les facettes de la danse. On est sur scène et on bouge. On ne gesticule pas, on bouge !

Vous êtes des bougeurs !
Des mouvementés… Prendre en compte le rythme, le temps, le poids, l’espace.

N’est-ce pas le but du spectacle vivant : faire bouger les gens,  provoquer du mouvement. De les déplacer dans leur tête ?
Pas que dans leur tête. Quand on filme les spectateurs, on voit l’empathie des corps, les gens dansent dans leur siège. C’est très intéressant d’aller interroger le corps et l’esprit des spectateurs. Parce que beaucoup de nouveaux spectateurs de danse contemporaine cherchent à comprendre. On fait de la littérature et des maths en France, les gens se comprennent par l’esprit uniquement. Le gens n’ont qu’une tête ! En France on est cartésien, on sépare la tête et le corps, on doute et après on agit. On n’essaie pas de se casser la gueule. Dans le foot français, on joue pour ne pas perdre. Alors qu’en Angleterre, on joue et on verra bien.

Quels sont vos prochains projets ?
Il y a les prochains projets que je vais faire avec moi, que je veux mettre en place. Un solo mais pensé à plusieurs. J’ai quelques notes sur des carnets. Il y a des créations en Languedoc et en Normandie. Ca m’occupe déjà pas mal et je cherche à re-nourir mon réseau en passant des auditions. Puis des projets de peintures, partir à l’étranger pour aller peindre et revenir avec une exposition…

Partir à l’étranger ? Vous ne voulez pas peindre chez vous ?
Ce sont des lieux plus neutres et le fait de partir veut dire quitter beaucoup d’obligations et pouvoir se mettre dans une bulle. Se créer un sas. Il faut avoir du temps devant soi pour travailler. Quitter le monde.

S’en aller voir le monde pour mieux le quitter.
On quitte le sien en tout cas, on quitte son monde pour aller se déboussoler un peu. Je pars dans des endroits où je ne parle pas la langue. Dans un autre monde, complètement. Aller chercher des choses loin pour les réinterpréter avec ce qu’on est nous. Et donc aller les chercher le plus loin possible pour ne pas faire de l’interprétation mais du vrai vécu.

propos recueillis par Bruno Paternot

« 14 » : Chorégraphie : Didier Théron / Collaboration artistique : Michèle Murray &Thomas Guggi / Lumières: Thierry Jacquelin / Création sonore et vidéo : Fabien Dardennes / Costumes : Laurence Alquier / Danseurs : Marie-Charlotte Chevalier, Benjamin Dukhan, Léa Lansade, Joan Vercoutère, Samuel Watts.

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credit photos : Tim Somerset & Samuel Watts

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