DOMINIQUE GONZALEZ-FOERSTER, « QM.16 », CENTRE POMPIDOU

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Dominique Gonzalez-Foerster, QM.16, Centre Pompidou, le 29 janvier 2016.

L’art de Dominique Gonzalez-Foerster de créer des environnements enveloppants et des installations immersives comme autant de scénographies prêtes à accueillir, à même d’invoquer des personnages illustres ou encore anonymes, ainsi que les flux fictionnels des visiteurs, instille une fois de plus ses ritournelles envoutantes, nourries par une perpétuelle pluie tropicale dans les espaces de la Galerie Sud, pour son exposition monographique, 1887 – 2058, DGF.

Figures incontournables de l’imaginaire cinématographique, littéraire ou tout simplement de la culture populaire, Edgar Allan Poe, Ludwig II, Lola Montez, Fitzcarraldo, Scarlett O’Hara, Bob Dylan, Marylin Monroe, Maria Callas, parmi tant d’autres, Dominique Gonzalez-Foerster a choisi 16 protagonistes pour son opéra en question et en construction, M.2062, tissé au fil des apparitions incongrues dans des lieux et des contextes des plus divers. Dans une démarche qui se déclare volontiers en affinité avec la Comtesse de Castiglione, Lola Montez, La Casati ou encore, plus proche de nous, Cindy Sherman, l’artiste se joue de tout un attirail, de maquillages et de costumes pour incarner ces personnages orphelins qui font irruption dans le réel, en y injectant quelque chose de leur puissance de fascination.

Le Grand Studio des Spectacles Vivants du Centre Pompidou semble un écrin privilégié pour capter ces présences ineffables. Pour la création QM.16, Dominique Gonzalez-Foerster s’y penche sur le désir de transformation qui met en mouvement, tient ensemble et irrigue cette série d’apparitions et de disparitions. Plus que jamais, le plateau vide, l’espace strié entre les rideaux lourds, les écrans et autres parois transparentes se charge d’une densité indicible, aimante le désir, semble polariser autant d’intensificateurs, mais aussi de leurres de l’imaginaire.

Un frémissement anime les plis de velours noir qui marquent la lisière des gradins. L’artiste conjugue habilement l’appareillage du théâtre et du cinéma. L’apparition tant attendue, annoncée, préparée par la musique dramatique, refuse de se préciser, se maintient dans l’indétermination, tâche vaguement luminescente aux contours flous, persistance rétinienne, tremblée, image miroir, anamorphose. Ombre enfin qui se vide lentement de sa consistance. Un personnage fait son entrée simultanément de l’autre côté de la scène. Dominique Gonzalez-Foerster maitrise à perfection l’art du dédoublement, du devenir fuyant et multiple. Costume blanc, bottes qui montent, port conquérant et séducteur, regard fixe, rivé à l’horizon, Sarah Bernhardt dans le rôle du duc de Reichstadt (L’Aiglon, 1900) gagne en épaisseur au fur et à mesure de ses déplacements, entrées et sorties des cercles de lumière. Tout autant qu’au personnage, l’artiste s’intéresse aux multiples strates de matière fictionnelle qui sont en train de coaguler autour de lui, aux processus cinématographiques et performatifs à l’œuvre : une nuée d’histoires possibles grouille dans l’intervalle entre chaque image, la façon de s’incarner est à chaque fois légèrement autre, répétition et différence sont employées de manière active.

Ce premier rideau s’ouvre lentement, dévoilant un énorme écran et le plateau vide. Un bolide traverse la nuit américaine d’Atomic Park. Le sable est d’un blanc irréel, le désert devient le théâtre de scènes bucoliques, des enfants jouent dans les dunes, le zoom qui va les chercher dans le paysage radioactif amplifie les légers tremblements de la main qui tient la caméra. La matière vidéo trafiquée, déréglée, poussée dans ses retranchements dégage des plages de latence, surprend, enregistre des signaux rebelles.

La voix de Marylin Monroe dans The Misfits augmente la tension dramatique. Une apparition blonde, escarpins, décolleté plongeant, à la dérive, hante le plateau. Le trouble s’épaissit quand la même silhouette familière vient s’inscrire à demi-teinte, entre la transparence et la projection, sur une toile de fond, en léger ralenti.

La chanson rock qui résonne dans la salle évoque immanquablement Bob Dylan. Dominique Gonzalez-Foerster chorégraphie de manière espiègle son absence dans le ballet de ce régisseur qui passe la serpillère sur la scène vide.

Un nouveau rideau se baisse, réduisant la profondeur de l’espace, contaminé lentement par une lumière froide qui finit par teindre un monochrome d’un bleu intense. L’artiste nous laisse gouter une fois de plus à l’attente, à la lenteur d’un processus en train de s’accomplir. Apparition impériale, la Callas, vêtue couleur rouge sang, interprète des airs de Médée. Dominique Gonzalez-Foerster chante et sa présence sonore fragile confère des ombres tremblées à la voix parfaite de la diva. L’artiste opère en sous régime, travaille l’écart, cultive les interstices, autant de voies d’accès par lesquelles notre frustration devant ces incarnations volontairement inaccomplies vient nourrir des figures partagées. La toile bleue fonctionne aussi comme un fond d’incrustation, les fictions proposées nous invitent à y participer.

Smaranda Olcèse

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Visuels : Lola Montez in Berlin, 2015. Photo courtesy of Dominique Gonzalez-Foerster and Esther Schipper, Berlin. / Bob Dylan à la Fondation Louis Vuitton / copyright the artist

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