« PEER GYNT », L’UNIVERS FOUTRAQUE ET COLORE DE DAVID BOBEE

« Peer Gynt » d’Henrik Ibsen – Mise en scène : David Bobée – Au Théâtre des Salins, Scène nationale de Martigues – jeudi 08 février et vendredi 09 février 2018 puis en tournée en France.

Henrik Ibsen (1828 – 1906) est décidément à la mode depuis quelques mois. Après le bel accueil d’Ibsen Huis mis en scène par Simon Stone au dernier Festival d’Avignon, voilà deux Peer Gynt qui tournent au même moment, celui d’Irina Brook au Théâtre des Bouffes du Nord et celui de David Bobée créé au « Grand T » de Nantes, qui se joue ce soir là dans ce très beau théâtre des Salins à Martigues.

Salle comble et plutôt jeune pour cette pièce que Patrice Chéreau monta dans les années 81 dans une fresque de 7 heures. Pour le coup, David Bobée, bien que fidèle à la traduction faite pour Patrice Chéreau par François Regnault, monte Peer Gynt en seulement 3 h 40. Peer Gynt, ce sale gosse menteur et hâbleur qui trahit tout et tout le monde pour assouvir ses fantasmes et ses rêves et qui poursuit inlassablement son désir de se voir plus grand qu’il ne l’est.

Sur scène David Bobée nous présente l’univers de Gynt dans une sorte de fête foraine déglinguée où plus rien ne tourne rond. Des restes délabrés d’une attraction de montagnes russes donnent de la hauteur aux comédiens ou les écrasent sous le poids de l’acier, une tête gigantesque de clown au vernis craquelé semble faire écho à un Peer présenté ici comme un bouffon dont tout le monde rit. Au centre de la scène une vieille caravane rouillée, seul refuge du reste de la famille Gynt composée de Peer et de sa vieille mère. Le père, mort ruiné, n’est plus et la mère, interprétée par la magnifique Catherine Dewitt, bien qu’aimante comme toutes les mères, connaît bien son fils et ses perpétuels mensonges.

David Bobée scinde la pièce en deux parties distinctes, d’abord celle se passant près du village natal de Peer. De mensonges et pirouettes jusqu’à l’enlèvement d’une jeune mariée flanquée d’un drolatique mari niais et hésitant, Peer Gynt traverse sa vie sans jamais s’arrêter ni regarder les dégâts qu’il laisse derrière lui et le mal qu’il fait, rêvant de pouvoir et de possession. Peer va donc tenter de devenir roi des trolls, prêt pour le coup à nier le peu d’humanité qui lui reste. Tel un ersatz de héros mythique, même pas une pâle copie, il va alors parcourir le monde, connaître la puissance et l’argent mais sans jamais parvenir à faire le bien ou à trouver une place honorable. De négrier désireux de conquérir le monde en prophète vicieux, il reviendra tel un Ulysse des bas-fonds dans son village pour y mourir sans n’avoir jamais su qui il était.

Sur scène une belle troupe de comédiens, fidèles à David Bobée, virevoltant chacun dans son registre et se grimant avec peu d’effets mais toujours avec talent, tantôt en besogneux de la campagne, tantôt en trolls ou grands de ce monde. Le comédien Radouan Leflahi tient son rôle à bout de bras et sait séduire de pirouettes en sourires charmeurs. Il fait le clown et offre au public une face pleine d’humanité qui se décompose en une fraction de seconde pour mieux montrer tout le néant qu’est l’âme de Peer. Il est plus troll qu’un troll quand il est prêt à tout pour détrôner le roi, et plus tard, devenu prophète, il paraît encore plus avide d’immédiateté et plus bas que cette pauvre femme qui tente de lui soutirer quelques sous pour vivre. De désespoir en naufrage, Peer, après cinquante ans d’errance, revient chez lui pour mourir. Là encore, dans un tout autre registre, Radouan Leflahi interprète avec élégance un Peer Gynt se mentant à lui-même jusque dans la mort pour ne pas assumer ce qu’il est ou ce qu’il n’a jamais été.

Entouré d’une troupe de comédiens toujours à l’écoute et entrainés par la musique jouée en live de Butch McKoy déjà présent dans « Lucrèce Borgia », David Bobée teinte son épopée d’une note à la Jarmusch, oscillant sans arrêt entre un western cradingue dans des lumières aux couleurs des années western créées par Stéphane Babi Aubert et une
aventure toute mythologique, entre onirisme et véracité. Son Peer pourrait être le frère de Globul du Poeub de Serge Valletti, anti-héros jusqu’au-boutiste mais sans but, errant entre son monde et la réalité, sans grandeur et sans destin si ce n’est celui de n’être rien. Les comédiens sur scène se démènent sans relâche dans cet univers foutraque et coloré et tiennent en haleine les spectateurs conquis.

Pierre Salles

Création au Grand T de Nantes
En tournée :
– le 16 février à L’Avant-Seine, Colombes
– les 21 et 22 février à la Scène Nationale 61, Flers
– les 8 et 9 mars au Carré-Colonne, Saint-Médard-en-Jalles
– les 20 et 21 mars à La Passerelle, Saint-Brieuc
– le 19 avril aux Scènes du Golfe, Vannes.

Photos Arnaud Bertereau / Le Grand T, Nantes.

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