« ET POURQUOI MOI JE DOIS PARLER COMME TOI ? » , POESIE BRUTE DES DAMNÉS SUR TERRE

72e FESTIVAL D’AVIGNON. « Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? » – Adaptation et jeu : Anouk Grinberg ; Musique : Nicolas Repac – La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon – du 19 au 22 juillet – Durée 1h05. 

Par analogie avec l’Art Brut, reconnu et mis en avant dans les arts plastiques comme la peinture ou la sculpture, Anouk Grinberg est partie à la recherche de « textes bruts ». Il s’agit de l’expression de personnes n’ayant aucune culture ou formation artistique, malades psychiatriques ou tout simplement bizarres, vivant en marge et la plupart du temps rejetées par la société.

Les recherches d’Anouk Grinberg ont porté en particulier sur les écrits de ces personnes mises hors du monde dans des asiles, vrais malades ou simplement un peu « dérangées » qui se retrouvent là sans trop savoir pourquoi. Le besoin de communiquer, de ne pas être oublié, d’exprimer spontanément ce que l’on a dans la tête paraît irrépressible et les sources semblent inépuisables. Dans la plupart des cas ces documents, considérés sans doute comme des divagations de malades sans intérêt, n’ont jamais été lus et se sont retrouvés archivés par un personnel médical consciencieux, oubliés de tous. Il s’agit de lettres aux directeurs des institutions, à des proches, vivants ou disparus, de supplications, de poèmes, de témoignages et de moments de vie.

Ces textes nous sont livrés à l’état brut par Anouk Grinberg avec sa voix douce et dans une diction parfaite. Les yeux dans le vague, en symbiose totale avec ces auteurs méconnus, poètes sans le savoir, elle semble pénétrer dans leur monde intérieur, dans leur imaginaire et nous transmet avec simplicité leurs mots restés dans l’ombre si longtemps.

Ces écrits sont porteurs d’une volonté forcenée de vivre qui s’exprime tour à tour par la rage, la tendresse ou le rêve. Certaines lettres sont déchirantes comme ces cris, ces supplications pour sortir de cet enfer, pour retrouver une liberté inaccessible, d’autres sont chargées d’espoir, adressées à des proches peut-être disparus ou qui ne répondront jamais. Ce besoin impérieux d’expression passe parfois par des poèmes abrupts où se mêlent l’innocence, la spontanéité, la créativité. Des mots surprenants sont inventés mais leur sens reste limpide et leur sonorité est belle, ils paraissent manquer à notre vocabulaire tant ils portent de force évocatrice en eux.

Mais Anouk Grinberg n’est pas seule en scène. La force de ces textes est portée par la musique originale de Nicolas Repac qui se décrit comme un musicien qui joue « de toutes petites notes avec des petits instruments… des petites notes qui glissent sur la peau des mots… ». Cette création sonore, plus qu’une musique formalisée, est sensible et délicate, toujours en parfaite harmonie avec le texte. Les instruments sont variés et surprenants allant de la simple guitare à la guimbarde en passant par des percussions, un hang, des tiges métalliques, une trompe et quelques autres objets sonores non identifiés.

Saluons ce magnifique travail d’Anouk Grinberg qui a su exhumer de véritables trésors de poésie de cette mine inexploitée que constituent ces témoignages de vie oubliés. Quelle richesse dans les mots de ces personnes dont la raison vacille mais qui portent en eux une profonde humanité et une sensibilité sans doute encore accrues par le handicap ! Des mots et des sons bruts, authentiques, une poésie sans fard et criante de vérité !

Jean-Louis Blanc

Photo Festival d’Avignon

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