BIENNALE DE DANSE DE VENISE : L’HUMAIN AVANT TOUT

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Venise, envoyé spécial.
BIENNALE DE VENISE – 13ème Biennale de la danse de Venise – Du 21 au 30 juin 2019, Venise.

Que restera-t-il de cette 13ème édition de la Biennale de la danse de Venise, la troisième de l’ère Chouinard ? De l’humain… beaucoup d’humain. Et, connaissant cette chorégraphe Québécoise, ce n’est pas étonnant tant son propre travail se fie aux réactions de ses congénères, aux désordres imposés par la vie, à ses accidents : ne l’a-t-on pas vu affublée de béquilles dans un solo célèbre « Body Remix, Les Variations goldberg »? Doit-on, du coup, être étonnés qu’elle finisse cette nouvelle édition par une pièce de Doris Uhlich « Evry body Electric », ou par la performance parlée et dansée de Nicola Gunn « Piece for personn and ghetto blaster », finalement, non…

Cette fin de biennale donnait aussi sa chance à des jeunes auteurs comme Maria Chiara de’ Nobili et à de jeunes danseurs du collège de danseurs, grande invention de cette Biennale de la danse qui offre depuis des années à une vingtaine de jeunes artistes la possibilité de traverser des œuvres et de faire des rencontres de chorégraphes célèbres ou en devenir…

Dans cette veine, le programme du « college danzatori » apprend la modestie car il n’est pas donné à tout le monde de reprendre les pièces d’artistes comme Trisha Brown et le célèbre « Set and reset/Reset » ici sans la scénographie de Rauschenberg mais avec la musique envoûtante de Laurie Anderson « Long time no see » qui reste longtemps dans la tête après que la pièce soit achevée… Le plus dur dans la danse de Trisha Brown est de saisir la fluidité du mouvement, le déhanché qui fait que le geste est à la fois ferme et souple… et, le moins qu’on puisse dire, c’est que la troupe des quinze danseurs, venus du monde entier, ont eu du mal à convaincre qu’ils avaient saisi la subtilité du mouvement « brownien »… mais on ne leur en veut pas trop – il y a un début à tout ! – puisque, dans la même soirée, nous avons pu goûter leur talent avec la création imaginée par le Lion d’argent de l’année, le chorégraphe italien Alessandro Sciarroni, dont l’énergie est bien plus adaptée à cette génération qui n’a pas suivi le cursus des danseurs qui interprètent avec maestria la danse de Trisha Brown…

Donc, Polka pour « Dance me to the end of love »… Début dans un espace ouvert sans pendrillon d’aucune sorte, les danseurs appuyés sur le mur du lointain – doté d’une fresque magnifique qu’on n’avait jamais vue avant ! – ou assis sur les côtés… Deux femmes se regardent, se toisent et prennent la pose et s’élancent dans une danse de salon rapide et gracieuse… plusieurs les rejoignent. Même cérémonial… toise du regard, saisissement du bras et Polka… le rythme et la chorégraphie font vite penser à un bal… à un moment, deux hommes qui ont rejoint le groupe dansent ensemble, se mettent à tourner comme dans une danse Soufie et à plier les genoux et ne comptant que sur la force centrifuge du mouvement… c’est d’ailleurs la particularité de cette danse qui est, à l’origine, uniquement dansée par des hommes et que Alessandro Sciarroni fait essentiellement danser par des femmes. Subjuguant. Hypnotique à souhait… du grand art et là, pour le coup de grands danseurs.

De » Every body Electric » de Doris Uhlich, on ne retiendra pas grand chose tant cette pièce laisse sur sa fin/faim, tant le sens, la forme… posent questions… Huit personnes handicapées vont danser, parfois dans le plus simple appareil – sans jeu de mots – puisque tous sauf une sont sur fauteuils roulants, dont certains avec des handicaps moteurs lourds… La première scène est, de ce point de vu, dérangeante puisque un homme difforme et infirme et une femme moins handicapée mais souffrant de troubles moteurs, sont nus, et au sol, exécutants des glissades, avançant comme ils peuvent, simulant – et c’est là le problème – des spasmes, des convulsions, des agitations comme peuvent en avoir des handicapés mais, du coup, exécutés de façon assez caricaturale ce qui ne présente pas beaucoup d’intérêt… le tout dans un univers sonore très techno qui fait un peu diversion – ne voit-on pas des spectateurs battre la mesure avec leur pieds, ou agitant leur corps au rythme des infra-basses de la musique ?… Au bout d’un moment, la pièce nous échappe tant elle nous ennuie mais ce que j’en reteindrais c’est l’immense invention physique des hommes et des femmes qui trouvent des appuis pour se hisser du sol vers leur fauteuil avec une créativité qui est à elle seule une danse. On s’attache bien plus à cet exploit, cet engagement, à tout ce que leur demande cette pièce qu’à la chorégraphie qui est bavarde, qui se répète, prend des voies de provocation un peu gratuite, avec une adresse provocatrice vers le public qui ne devrait pas être pris à défaut ; que connaît Doris Uhlich de la vie des spectateurs qui sont face à elle ?

« Wrap » de Maria Chiara de’ Nobili ne laissera pas un grand souvenir non plus à part la précision – il pourrait facilement danser du Trisha Brown – de Jao Pedro de Paula qui, malgré quelques cris inutiles dans le spectacle, sauve la pièce par une interprétation de qualité, ce qui dans une œuvre tout à fait inaboutie, où rien de ce qui est proposé au plateau n’est réglé : entrée/sortie des danseurs, début/fin, lumières, son, même retirer les costumes n’a pas trouvé sa résolution sur la scène… oublions.

Autre personnalité et humanité remarquable : Nicola Gunn. Incroyable performeuse – comme on dit – un jeu tout à fait convaincant, une folie douce, drôle et décalée. Une vraie découverte.

Fin de cette biennale avec, évidemment, un Québécois – et non des moindre – puisqu’il s’agit de Daniel Léveillé, mondialement connu pour ses chorégraphies où tout le monde est nu. Il présentait une reprise, première en Italie, de « Quatuor tristesse ». Rien à dire si ce n’est que c’est beau, pas facile à danser, pas facile à recevoir non plus mais que le public du grand Teatro alle Tese de l’Arsenal regardait religieusement cette absolue composition ; il faut dire que la musique baroque qui diffuse pendant le spectacle y contribue… Une bien belle soirée, une bien belle fin aussi…

Emmanuel Serafini,
Envoyé spécial à Venise

quatuor tristesse

Images: 1- Nicola Gunn « Piece for personn and ghetto blaster » 2- Daniel Léveillé « Quatuor Tristesse » – Phoos DR / copyright the artists.

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