« VIVE LE SUJET ! » : LES SERIES 3 & 4 NE MANQUENT PAS D’AUDACES !
FESTIVAL D’AVIGNON. VIVE LE SUJET ! (Séries 3 et 4) – Jardin de la Vierge, Lycée Saint Joseph – 17 au 23 juillet – Série 3 : « Comme la France est belle ! » Gustave Akakpo & Frédéric Belin / « Garden of chance » Kurt Demey & Christian Ubl – Série 4 : « Ce jardin » Ina Mihalache & Madeleine Fournier / « Sa bouche ne connaît pas de dimanche » Rebecca Chaillon et Pierre Guillois.
La question qui est sur toutes les lèvres est de savoir si, avec cette nouvelle livraison de spectacles après ce 14 Juillet, le 73ème Festival d’Avignon va nous réserver des surprises et enfin décoller… En tous les cas, dans le Jardin de la Vierge : oui, et les quatre nouveaux « Vive le sujet ! » ne manquent pas d’audaces…
J’ai peur du noir.
Prenez « Comme la France est belle » imaginé par Gustave Akakpo & Frédéric Belin ; audacieux de proposer une ode à la francophonie dans une manifestation organisée et financée par la Société des auteurs, très active au sein de la coalition pour sa défense, le tout par un Togolais écrivain savant et une sorte de « blonde » brune, contente de son inculture. Et ce court opus est vraiment bien dans le sens où il manipule des idées reçues que renverse Gustave Akakpo, professoral mais juste et clairvoyant, à propos de notre langue et pas seulement… Donc d’un côté un troublion en socs japonaises, joué par Frédéric Blin qui fait bigrement penser à Dave Saint Pierre dans ces grands moments de blonde trash mal élevée et vulgaire et cet homme noir qui semble bien plus évolué que cette image du singe accompagnant le blanc que nous montre le spectacle. Tous les poncifs y sont abordés et Gustave Akakpo les contre avec une série d’arguments non seulement imparables mais qui font bigrement réfléchir… Cette ode à la francophonie est centrale dans la géo-politique. Gustave Akakpo a raison de dire que seule la France et les français s’en désintéressent parce que tous les autres pays francophones tirent la sonnette d’alarme et nous, Français, on regarde ailleurs… Gustave Akakpo de dénoncer qu’il est plus crédible d’être en « burn out » plutôt que d’être victime de « surmenage »… très riche, très drôle et découverte de Frédéric Blin, avec des faux airs de Philippe Katrine, il renouvelle le rôle du/de la beauf avec splendeur !
Magique.
Christian Ubl n’est jamais aussi bien que lorsqu’il est dans la satyre, l’humour distancé et la mauvaise foi… Ce chorégraphe et danseur franco-autrichien emmène sur sa barque le magicien illusionniste Kurt Demey. Après quelques pas de danse très Pina Bauch – ce duo notamment autour de morceaux d’herbe synthétique – est succulent. Les deux acolytes vont faire interagir la salle et c’est efficace, doublement, puisque nous allons être subjugués par la prouesse à laquelle nous participons de retrouver les deux même cartes postales, préalablement découpées, passées par tout un tas d’échanges, pour finir par recoller les morceaux… prodigieux. Une belle rencontre que celle-ci et magique en plus !
Body-painting
Moins magique cette proposition de Ina Mihalache et Madeleine Fournier… dans un dépouillement certain, les deux interprètes s’avancent à l’avant-scène T-shirt blanc, T-shirt bleu, shorts noirs, les deux femmes vont se badigeonner de bleu, se frotter, se porter. Adèptes de la lenteur et du geste sobre, elles ne parviennent pas à nous emporter… Il manque quelque chose, une intériorité ou alors une vraie distance pour que cela fonctionne… Et si, comme elles le disent : « on a du temps », il ne faut pas non plus le laisser vide…
Une vie de cochon.
En revanche, la proposition de Rebecca Chaillon et Pierre Guillois est magnifique… en tous points… Dans une scénographie d’un kitch à la Deschien : tapis de sol à carreau vichy rouge et blanc, piscine gonflable, chaise longue et barbecue, entre par le public une femme noire, quasi nue, portant un tablier de boucher, une vraie côte de mailles d’où sortent les seins proéminents de Rebecca Chaillon. Elle danse. Surgit dans son ciré jaune « l’innocent » qui arrose, fait des jeux d’eau… Ces deux-là vont se rencontrer, leurs histoires de paumés, rejetés, se mêler… cela va donner une des plus audacieuse proposition de ce Vive le sujet !… A travers des récits qui narrent la vie des gens, de ceux qui sont à la marge, en usant de leur physique ou de leur différence, Rebecca Chaillon et Pierre Guillois touchent et passionnent.
Emmanuel Serafini
Image : « Sa bouche ne connaît pas de dimanche » de Rebecca Chaillon et Pierre Guillois – Photo SACD / Festival d’Avignon