« LE JOURNAL D’UN DISPARU » : IVO VAN HOVE POETISE L’OPERA « MINIATURE » DE JANACEK

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« Le journal d’un disparu » – Opéra miniature de Leoš Janáček – Mise en scène d’Ivo Van Hove – Au théâtre des Salins – Scène nationale de Martigues – Samedi 12 et dimanche 13 octobre 2019.

C’est au cœur d’un studio photo des années 70, dans une ambiance cinématographique judicieusement suggérée par un travail précis sur les lumières, que le metteur en scène Ivo Van Hove transpose cet opéra miniature écrit par le compositeur tchèque Leoš Janáček en 1917 à partir d’un recueil de poèmes de Josef Kalda.

Articulé autour d’un cycle de 22 mélodies de Janáček et de 4 compositions de la compositrice belge Annelies Van Parys, l’opéra évoque l’amour entre la tzigane Zefka et le jeune Janíček. Loin de ne proposer qu’une mise à plat de l’opéra, Ivo Van Hove brouille les cartes et offre au public plusieurs interprétations possibles de son spectacle. Mais celle que l’on retient plonge le public dans un moment de poésie où s’entremêlent la vie du héros et de l’héroïne de son opéra avec la vie intime du compositeur qui vécut un amour impossible avec Kamila avec laquelle il entretint une correspondance de plus de 700 lettres. Les chanteurs sur scène sont là comme des ombres du passé et de cet amour inaccessible.

Le comédien Hugo Koolschijn représente ainsi le compositeur Leoš Janáček, âgé et tourmenté dans ce souvenir d’un amour impossible avec Kamila, et transpose, comme un reflet dans l’eau, cet amour dans l’intrigue de l’opéra. Comment en effet ne pas imaginer le ténor Andrew Dickinson dans le rôle du jeune Janicek amoureux de la tzigane Zefka comme en miroir à cet amour impossible du compositeur et de sa muse ?

Malgré le contexte du livret, la transposition dans les années 70 proposée par Ivo Van Hove ne choque en aucun point pour peu que l’on se laisse entraîner avec lui dans le rêve d’un Leoš Janáček âgé et seul. Les compositions contemporaines d’Annelies Van Parys ne font qu’appuyer davantage cette option du metteur en scène.

Articulant sa mise en scène à partir du livret et de textes issus de la correspondance du compositeur et de Kamila, Ivo Van Hove, tout en troublant le spectateur par une dramaturgie où rien n’est explicite, offre une vision d’une totale poésie. Au piano, Lada Valešová soutient et porte l’opéra avec rythme avec des élans portant les chanteurs/comédiens dans des sonorités parfois sombres, parfois empreintes de sensations quasi naturalistes où la musique et les chants semblent danser avec la belle tzigane sur l’herbe d’un sous-bois.

La mezzo soprano Marie Hamard envoûte par sa présence et son chant le cœur du jeune Janíček mais aussi celui du public. Sans surjouer, elle apporte toute la sensualité tzigane, aussi bien par son jeu que par sa voix chaude, tandis que le ténor Andrew Dickinson éclaire la scène d’une voix claire et puissante sachant porter par son chant et sa présence tout l’espoir d’un homme jeune et amoureux plein de doutes et de contradictions. Difficile aussi de ne pas être troublé quand le jeune Janíček et le vieux Janáček, côte à côte, se lancent des regards tantôt empreints d’amour paternel, peut-être ceux d’un créateur à son œuvre, tantôt justes nostalgiques d’un temps qui n’a en fait jamais existé.

Si l’on peut regretter une mise en scène parfois trop complexe et à tiroir qui peut perdre le public on ne peut qu’être séduit par l’indéniable poésie qui s’en dégage pour peu que l’on se laisser porter par l’ensemble, équilibré tant au niveau du chant qu’au niveau des jeux. Ivo Van Hove a su trouver cet équilibre qui permet aux spectateurs de rêver avec lui à ces amours impossibles.

Pierre Salles

Photo Jan Versweyveld

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