« MORT PREMATUREE D’UN CHANTEUR POPULAIRE DANS LA FORCE DE L’ÂGE », UNE TRAGEDIE LEGERE DE WAJDI MOUAWAD
Wajdi Mouawad – Mort prématurée d’un chanteur populaire dans la force de l’âge – Le Grand T, Nantes – du 28 septembre au 3 octobre 2020.
Pluie torrentielle sur l’ombre de l’homme seul
Tempête dans la tempête avec Mort prématurée d’un chanteur populaire dans la force de l’âge, des voix roques, cassées et douces-amères flottent à la dérive dans la salle du Grand T.
Wajdi Mouawad, propose une légère tragédie ; sur scène le rire s’immisce dans l’effondrement, la mort prend ses aises ; une sorte de délicieuse pieuvre qui nous lancerait des vannes ! Co-écrite avec Arthur H, interprète du rôle d’Alice, un chanteur populaire vaincu par son art et délaissé par la critique, accepte de mourir avant l’heure grâce au conseil de son ex-producteur, Faustin, joué par Patrick Le Mauff. La solitude du chanteur patauge sous la pluie et dans les coulisses du star system ! Le sentiment d’imposture de l’artiste et du public s’étend dans ses rapports aux autres. La critique emprisonne la création, « Les mots peuvent tuer, on l’oublie trop souvent » nous rappelle Arthur H. Piétinée par les protocoles et les devoirs de séduction, la société du spectacle dénature le projet principal de l’artiste dont les névroses ridicules mènent à la chute.
Marie-Josée Bastien, Nancy, dans la pièce, admiratrice inconditionnelle de l’artiste ranime la scène et l’homme avec une présence salvatrice, elle s’accapare du plateau, des éléments et rouvre la porte du jeu, du mouvement, réveille nos corps en jachère condamnés aux sarcasmes du réel. Elle invite à la désobéissance comme seul remède au pénible combat de vivre. Le propos frappe encore plus fort, dans la salle, échoué sous nos masques et nos distances de sécurité, l’intention des auteurs et comédiens résonne. C’est elle notre guide, notre main vertueuse qui sacralise l’ensemble, avec sa prise de parole déterminée, juste et sonore, une présence qui vivifie et met en lumière le véritable défie de la pièce, être un « théâtre de prise de parole », de rencontre qui nous arrache « à l’ennui de l’existence ». C’est ce qu’écrit Wajdi Mouawad en 2010 dans l’origine de l’écriture de sa pièce « Littoral », premier volet « Du sang des promesses ».
L’art condamné à être créé pour un public annihile son objet, mutilé par notre époque et ses espoirs d’échanges organisés, il devient une caresse avortée. Présenter son oeuvre c’est aussi l’espoir de trouver la bonne oreille, celle qui sauve. Celle qui nous éloigne de la mort présagée par l’idée même de la création.
Dans la salle obscure, le public, étrange destinataire d’un travail voué à l’échec, porte dans l’anonymat, les paroles qui font survivre. Les mots sont mobiles sur scène, ils dessinent les décors, mettent en lumière, construisent les distances entre les personnages, montrent la route, égarés dans la ville froide et humide, ils nous rapprochent de la nature, notre nature et nous permettent peut-être, de prendre soin de notre ombre.
Claire Burban
Crédit photo : Simon Gosselin