CHOREGIES D’ORANGE : UNE « CARMEN » POPULAIRE ET DE BELLE FACTURE DE JEAN-LOUIS GRINDA

CHOREGIES D’ORANGE 2023. « Carmen » – Opéra de Georges Bizet créé le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique de Paris – Livret de Henry Meilhac et Ludovic Halévy – Mise en scène : Jean-Louis Grinda – Direction musicale : Clelia Cafiero – Spectacle donné le 8 juillet dans le Théâtre antique.

Voilà donc le seul opéra des Chorégies 2023 !  Après avoir divisé par deux le nombre de représentations de chaque opéra, Jean-Louis Grinda divise cette fois par deux le nombre d’opéras dans son programme. Un mathématicien mal intentionné y verrait une suite géométrique qui tend vers zéro. Il est regrettable que la politique consistant à présenter deux opéras, dont l’un moins connu du public – à l’instar de « Mefistofele » ou de « Guillaume Tell » – soit abandonnée. Mais ne jetons pas la pierre à Jean-Louis Grinda qui ne fait sans doute qu’avec ce qu’il a, c’est-à-dire des moyens budgétaires limités dans la mesure où les Chorégies sont autofinancées en grande partie. Il est toutefois désolant que cette scène lyrique incomparable et mythique reste sous-exploitée.

C’est donc le « Carmen » de Bizet qui est proposé cette année dans une production méridionale des opéras de Monte-Carlo, Marseille et Toulouse mise en scène ici par le maître des lieux. Un opéra qui a marqué l’histoire des Chorégies et qui remplit à coup sûr l’immense cavea antique.

La mise en scène de Jean- Louis Grinda est sobre avec le célèbre mur nu en fond de scène. Le problème récurrent des metteurs en scène à Orange, lié à l’immensité du plateau, est résolu par deux immenses structures mobiles en arcs de cercles qui permettent de créer des lieux plus intimistes comme la taverne de Lillas Pastia ou le huis clos de ce terrible face à face entre Carmen et Don José dans la scène finale. Des structures qui se révèlent parfois un peu encombrantes pour les scènes d’ensemble. Le reste du décor est réduit à l’essentiel, quelques tables et chaises suffisent à évoquer les lieux. La mise en scène porte avant tout sur une recherche esthétique au travers de belles images soutenues par des éclairages recherchés en clair-obscur et ombres portées et des costumes d’époque très travaillés et d’un grand classicisme. Les scènes d’ensemble sont particulièrement réussies avec une belle occupation de l’espace, en particulier lors du campement des contrebandiers dans la montagne, une scène aux reflets chatoyants éclairée par des flambeaux. Un parti pris esthétique qui crée une ambiance mystérieuse et tragique.

Le spectacle est ponctué par les interventions ardentes et expressives de la jeune danseuse de flamenco Irene Olvera. Des moments d’une passion toute flamenca en phase avec le drame annoncé mais dont les castagnettes et claquettes se superposent parfois malencontreusement aux intermèdes musicaux.

Contrairement aux précédentes mises en scène de Jean-Louis Grinda le mur est peu utilisé pour des projections d’images ou de vidéos. Il apparait dans toute sa minéralité pour servir d’écrin au spectacle au travers de sa magnificence et de ses clairs-obscurs ocrés. Seul le dernier acte est imagé par des vidéos de corrida. Une option fidèle au livret puisque cet acte se déroule devant les arènes de Séville dans lesquelles combat Escamillo. Le défilé des alguazils, le paseo et la faena sont toutefois des images qui détournent un peu l’attention. La dernière scène se déroule heureusement devant des arènes vides, le taureau est mort et toute notre attention se porte sur cette ultime et fatale rencontre entre Carmen et Don José.

La prise de rôle de Carmen par Marie-Nicole Lemieux était attendue tant elle rêvait de ce rôle. Elle incarne, par son jeu de scène sensuel et provocateur, une Carmen totalement libérée. Ce n’est pas une Carmen victime de ses sentiments amoureux, c’est une Carmen à la forte personnalité, consciente de son pouvoir de séduction et de domination, en quête d’une liberté absolue. La voix est aisée, peut-être un peu sur la retenue dans la Habanera elle prend toute son ampleur dans la Séguedille et la chanson bohême. Son partenaire Jean-François Borras, avec sa présence et sa voix claire, nage comme un poisson dans l’eau dans le rôle de Don José qu’il affectionne.

La tendre et timide Micaëla interprétée par Alexandra Marcellier est une heureuse découverte. Sa voix limpide révèle toute la pureté et l’innocence du personnage. Le torero Escamillo est interprété avec prestance par le baryton-basse italien Ildebrando d’Arcangelo qui roule les « r » comme des galets et à qui il manque peut-être un peu le charisme et la domination qu’on attend du personnage. Le reste de la distribution est homogène et tous les rôles sont tenus brillamment par des voix adaptées à l’ampleur du lieu.

Les chœurs, regroupant les chœurs des opéras de Monte-Carlo et du Grand Avignon et la maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, sont du meilleur niveau et leur mise en espace sur cet immense plateau est bien coordonnée et contribue à la beauté des tableaux d’ensemble. Enfin l’Orchestre National de Lyon est placé sous la baguette de la jeune cheffe italienne Clelia Cafiero. La gestuelle précise, vigoureuse mais nuancée, restitue toute la finesse et la puissance de la partition de Bizet lors de l’ouverture et des préludes. Une remarquable interprétation musicale qui tombe quelquefois dans un travers récurrent à Orange, à savoir une prédominance de l’orchestre sur les voix.

Cet unique opéra des Chorégies remplit la cavea et reçoit le meilleur accueil du public. Jean-Louis Grinda nous offre un spectacle classique et sans grande originalité mais d’une très belle facture visuelle et musicale. Un spectacle populaire et de qualité au meilleur sens du terme pour qui découvrait cette œuvre éternelle de Bizet.

Jean-Louis Blanc, envoyé spécial à Orange

Photo copyright Chorégies d’Orange 2023

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