« THE EXTERMINATING ANGEL », OPERA SURREALISTE, FEROCE ET PUISSAMMENT THEÂTRAL

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The Exterminating Angel – musique Thomas Adès – mes Calixto Bieito – Opéra de Paris – du 29 février au 23 mars 2024 (alternance).

Pourquoi assister à un opéra tiré d’un film de 1962 de Luis Buñuel, signé par le compositeur contemporain Thomas Adès, et qui s’annonce relativement confidentiel ? Ces dernières semaines, la critique ne tarit plus d’éloges sur cette production (« magistral et terrifiant », « un Ange exterminateur de haut vol », « L’Ange exterminateur emmène au septième ciel »). Ces retours concordants indiquent qu’il se passe quelque d’inhabituel à Bastille avec cette mise en scène de Calixto Bieito. C’est peu dire que la surprise est de taille !

Le décor est somptueux, le plateau d’artistes pléthorique et spectaculaire. Mais peu à peu, tout se fissure, se décompose dans une descente aux enfers aussi rocambolesque qu’effrayante. Les harmonies contemporaines s’accordent parfaitement à l’étrangeté de la situation, les chanteurs sont de vrais acteurs, tout concourt à une aventure cauchemardesque et fascinante.

Alors qu’une réception se prépare dans une maison huppée, les domestiques démissionnent les uns après les autres. La soirée se déroule tant bien que mal avec l’aide du majordome, mais les invités sont bientôt incapables de quitter la salle, retenus par une force mystérieuse…

La salle de réception, immense, magnifiquement blanche, abrite une table majestueuse qui attend les convives. Une quinzaine d’invités, vêtus de tenues de soirées colorées, s’avancent et ne quitteront plus la scène, condamnés à jouer en huis clos les uns devant les autres. Le décor se délitera peu à peu à mesure que la situation se détériorera. Les tableaux sont splendides. La distribution vocale est tout aussi grandiose, avec des artistes internationaux très expressifs. La musique contemporaine peut initialement susciter un mouvement de recul, avec son étonnant phrasé chanté. Cependant, au fur et à mesure que le huis clos dégénère et que la nature surréaliste de la situation se révèle, l’association de la musique à la situation devient de plus en plus juste et évidente, en parfaite adéquation avec la folie de cette soirée.

Quelle drôle d’histoire ! Le suspens est bien tenu : l’enfermement des convives incapables de quitter la salle est une énigme qui tient le spectateur en haleine. Au fil du temps, la véritable nature de chacun se dévoile, tandis que les conditions se dégradent. La faim, la soif, la saleté attaquent la dignité de ces aristocrates. Des duos, des trios et des petits groupes se forment, complotent les uns contre les autres, se débattent dans cette situation absurde. La tension monte à mesure que la rétention dure, et la vie sauvage refait surface. Le paroxysme est atteint avec l’arrivée mystérieuse d’agneaux. Les chanteurs se révèlent des comédiens hors pairs, fascinants dans leur abandon de toute bienséance.

Ce portrait d’un groupe d’aristocrates qui régressent presque à un état animal est saisissant. La Musique, le jeu des acteurs et la mise en scène se conjuguent parfaitement pour relever le défi de cette aventure surréaliste troublante. L’histoire est terrifiante et dérangeante, au point que certains spectateurs quittent la salle avant la fin, tandis que d’autres applaudissent avec enthousiasme ce pari audacieux qui détonne et étonne.

Emmanuelle Picard

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