CARNETS DE BEYROUTH #01 : Visages de Syrie, à l’heure de l’exil

CARNETS DE BEYROUTH par Flora Moricet.

Avec ces « Carnets de Beyrouth » de Flora Moricet, nous inaugurons une nouvelle rubrique « CARNETS » confiée à nos correspondants à l’Etranger ou à des artistes et auteurs qui, sous la forme d’une chronique régulière, viendront abonder INFERNO d’un point de vue singulier sur une ville, un pays, enrichissant ainsi la revue d’un regard attentif à notre monde contemporain.

Beyrouth,

Depuis de nombreux mois maintenant se croisent, à Beyrouth, des regards qui ont vu l’Histoire vivante à en mourir dans le pays voisin. Un peu plus au nord, un peu plus à l’est. Beyrouth, la parenthèse. Beyrouth, l’oxygène. Beyrouth, à l’heure de l’exil.

Visages de Syrie / A l’heure de l’exil

J’ai toutes les chances de le croiser, à toute heure avant minuit. Dimanche ou vendredi, il sera là. Devant des jeux, debout à tendre un sac, à choisir tomates et kakis pour une femme traversée par les rides, assis rêveur. Je le reconnais par son sourire. Qui se lève plus haut que la prière du muezzin. Il s’illumine. Il est un rêve qui se réveille.

Le premier jour, j’avais perdu 9 000 livres libanaises. La main sur la bouche, les joues honteuses je m’en suis allée. Une semaine plus tard, il avait retrouvé mon argent. Il m’a dit qu’il m’attendait, sinon il l’aurait donné à quelqu’un qui en manquerait.
Il est tout de même timide ce visage. Derrière son bureau, il a le sourire parfois dans le menton.

Je ne sais pas ce qu’ils ont vu ses yeux. Mais aujourd’hui, ils pétillent toujours.
Peut-être qu’ils me cachent son ennui.

Très vite, il m’a dit qu’il venait de Syrie. Le lendemain qu’il venait de Homs. Je n’avais pas bien entendu. Il me l’a située sur une carte imaginaire. Et quelques mots venus de loin.

A mon retour de France il m’a dit : tu es partie depuis 14 jours. Ce matin : tu n’es pas venue depuis 4 jours, are you sick ? Il doit s’ennuyer pour compter les jours.

Il passait Noël tout seul, parce qu’il n’est pas marié, qu’il n’a pas d’amis ici, pas de petite copine.

Mais il sourit encore. Un sourire venu de loin.

Je ne lui pose aucune autre question que celle de sa journée. S’il a gagné au foot sur l’écran. S’il est fatigué. Et je m’en vais les mains dans les poches de mon manteau bourgeois.

Quelques euros contre quelques livres de Syrie. En souvenirs.

Il me dit espérer retrouver la Syrie l’été prochain. Je me demande s’il dort à l’étage. Si cela lui arrive de quitter une heure ou deux, une balade ou trois quatre pas son épicerie en pente, au coin de Beydoun, aux abords d’Achrafieh, le quartier chic des francophones. Le quartier tamisé.

Il m’a demandé si j’aimais le vin. J’ai eu un peu honte. Moi qui lui achète des Almazas –bières locales- plutôt tous les jours et une bouteille de Ksara en fin de semaine, prête à me joindre à quelques foules dissidentes.
D’ailleurs pour l’alcool il me l’enrobe toujours d’un sac noir.

J’ai un peu honte, moi, de venir de la ville des lumières, de subvenir à mes envies comme ça, de revenir avec mes phrases qui se répètent.

Je crois qu’il compte et qu’il attend. Sans vraiment attendre. Juste sentir la journée se déployer.

 

Flora Moricet, Beyrouth, février 2012

Photo : F. Moricet

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