FISCHLI SANS WEISS. HOMMAGE.

Disparition de l’artiste David Weiss le 27 avril 2012.

Le 27 avril dernier, la mort de David  Weiss (né en 1946, à Zurich) est discrètement annoncée par les médias. Une série  de modestes hommages est rendue sur la toile, les réseaux sociaux, comme dans la  vie. Sculpteur et dessinateur, il mène une première partie de sa carrière en  solo, jusqu’à sa rencontre avec Peter Fischli (né en 1952, à Zurich) avec qui il  a travaillé pendant trente trois années. Une intense collaboration qui a donné  vie à une œuvre décalée, poétique, caustique, critique et ironique.

Ensemble,  ils sont parvenus à survoler les pratiques contemporaines tel un ovni loufoque  et complexe dont l’œuvre interroge non seulement les institutions culturelles et  médiatiques, la critique, le marché, mais aussi l’art en lui-même : sa construction, ses classifications et ses normes. Ils n’ont eu de cesse de placer  leur travail dans une marge, un espace de liberté et d’intransigeance critique.  Leur matériau de prédilection était le quotidien, la banalité, le familier, le  trivial. Un matériau ingrat qu’ils sont su transcender et métamorphoser pour  questionner et bousculer notre rapport aux images, à la société de consommation  et aux objets. Au fil du temps ils se sont forgé une importante réputation  internationale en exposant au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, à la Tate  Modern à Londres ainsi qu’au Musée Guggenheim et au Museum of Modern Art à New  York. En 2003, ils décrochent le Lion d’Or à la Biennale de Venise et en 2006,  ils obtiennent le prix Hartmann pour l’ensemble de leur œuvre.

C’est en 1987 que le duo se fait connaître du grand public avec l’œuvre vidéo Der Lauf Der Dinge (Le Cours des Choses) où au moyen d’astuces surprenantes, de procédés chimiques, physiques et techniques, des objets tombent, filent et coulent les uns sur les autres entraînant une  succession hallucinante de probables catastrophes. Dans une ancienne usine et  sur une quarantaine de mètres, des objets explosent, s’enflamment, roulent, sont  projetés les uns vers les autres. Au moyen de pétards, essences et autres  produits inflammables, des balles, des jouets, des bidons et autres  actefacts issus du quotidien (domestique comme industriel) sont les vecteurs  d’une interminable chaine de cause à effets. Chaque acte, chaque parole, chaque  décision a des répercussions sur la vie de l’autre, tout est lié, interconnecté.  Tel est le message invoqué par le duo suisse. Rien n’est isolé, nous portons  tous une responsabilité par rapport à l’Autre, directement ou indirectement.  Avec des moyens techniques dérisoires, bricolés, recyclés, ils parviennent à  capter notre attention et à métamorphoser ces objets invisibles afin qu’ils  deviennent les moteurs et les transporteurs de messages polysémiques. Le film  est aujourd’hui compris comme une œuvre emblématique et programmatique des deux  artistes.

La vidéo, la photographie,  l’installation, la sculpture, la performance, l’édition d’art font partie de  leur palette technique dont ils ont su repousser les limites et les frontières.  Des photographies présentant une ville fabriquée à partir de charcuterie, de  cornichons et de croquettes pour chien (Wursterie – 1979), des  fleurs sous plastique (Herbst, Fall – 1997) ou encore toutes sortes de  paysages communs, ennuyeux et inintéressants rassemblés sur des tables  lumineuses (Visible World – 1987-2001). Des sculptures mettant en scène  une souche d’arbre peinte en noir (Root – 1986-1988), des objets  reconstitués à partir d’argile brute (Mausi Hat Hoch – 191 ou Shoe– 2009), une composition culinaire et aérienne élaborée à partir d’une  bouteille de vin, une louche, une assiette ébréchée et un filet d’ail (Natural  Grâce – 1985) ou encore une synthèse de ce qui peut être envisagé comme la  vie d’un artiste dans son atelier : une boîte vulgairement fabriquée à partir de  planchettes aux dimensions différentes, peinte en blanc, sale et remplie  d’objets liés à l’atelier (In The Studio – 2008). Chaque bribe de leur  environnement devient un outil ou un matériau qu’ils adaptent à leur esthétique  du bricolage qui fait aussi référence au monde de l’enfance, à l’instinct de  construction avec ce qui est disponible et ce qui permet des associations  immédiates.

Le côté artisanal participe à l’effet souvent comique et  décalé de leurs pièces. Une connexion avec le monde de l’enfance que nous  retrouvons dans leur projet Rat and Bear où les deux artistes,  travaillent à partir de deux costumes, l’un de rat, l’autre d’ours. Des costumes  comme des alter-ego, mis en scène lors des différentes expositions : étalés au  sol, suspendus dans les airs, enfouis sous des couvertures. Des costumes qu’ils  portent eux-mêmes dans des films comme The Right Way où ils instillent  une réflexion sur la nature, l’environnement et l’impact de nos actes sur lui ;  ou bien le film intitulé The Point of Leat Resistance (1981) où les deux  compères découvrent un cadavre dans une galerie à Los Angeles et décident de  mener l’enquête pour en déterminer les circonstances et l’auteur. Un cadavre  dont ils vont se servir pour entrer dans le monde « branché » de l’art aux  Etats-Unis. Les saynètes à la fois burlesques et troublantes sont des prétextes  pour aborder une multitude de sujets en lien avec le chaos généré par notre  société de consommation où l’humain, sa conscience et son imagination, sont  broyés, contraints et formatés. Des conséquences que les deux artistes  n’envisageaient pas comme une fatalité puisqu’ils n’ont cessé de les combattre et de les détourner. Au moyen d’une esthétique farfelue, ironique et poétique,  ils sont parvenus à nous offrir une lecture alternative du chaos dans lequel  nous vivons. «Un commentaire sur le monde des  apparences. Du Platon terre à terre. Nous aimons aborder les grands thèmes  philosophiques à travers une posture idiote et puérile» [Citation des artistes. Libération, avril  2012]. Une lecture de tous les possibles qui a marqué  l’histoire de l’art contemporain de manière durable.

Julie Crenn

Les dessins de David Weiss, réalisés  entre 1974 et 1979, seront présentés au Centre Culturel Suisse à Paris, du 12  mai au 10 juin 2012. Voir : http://www.ccsparis.com/fr/events/detail/281.

Plus d’informations sur Peter Fischli  et David Weiss : http://www.matthewmarks.com/.

Visuels : 1 / Fischli and Weiss film 2009 / 2 / Rat and Bear, Mobile, 2009, iron, 850 cm / 420 cm / 3 / David Weiss (à gauche) avec Fischli / 4 / Le Cours des choses, 1986-1987 / / 5 / Rat and Bear costumes at the Yokohama. © Peter Fischli and David Weiss.

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