FESTIVAL D’AUTOMNE / AU T2G, RENE POLLESCH, UN THEÂTRE QUI DESAVEUGLE
FESTIVAL D’AUTOMNE A PARIS / René Pollesch : Ich shau dir in die Augen, gesellschaflicher Verblendungszusammenhang*! / Théâtre de Gennevilliers dans le cadre du Festival d’Automne / Du 15 au 19 septembre 2012.
*Je te regarde dans les yeux, contexte d’aveuglement social ! signe l’émancipation du spectateur et du théâtre. Il abolit le temps de la représentation, tout impératif de la communication entre l’œuvre d’art et le spectateur, pour donner à chacun, une forme indépendante. Ce faisant, il tombe inévitablement à l’intérieur d’une forme hermétique, peu efficace, mais portée avec brio par le comédien Fabian Hinrichs.
Evoquer ce théâtre serait vain, il se prête mal aux commentaires et à l’anticipation. Cependant le vivre en tant que spectateur reste une expérience exceptionnelle et terriblement jouissive. Le texte et l’acteur devenus hétérogènes l’un à l’autre après la représentation semblaient pourtant coïncider parfaitement à l’intérieur d’une réciproque contradiction durant la performance de Fabian Hinrichs, porté par le manifeste inter-passif, incompatible de René Pollesch. La contradiction de l’œuvre d’art, nœud propre à l’esthétique d’Adorno, René Pollesch la théâtralise avec Fabien Hinrichs, véritable agitateur de foule, qui paradoxalement n’agite pas le spectateur figé par les propos tenus.
L’acteur provoque l’inter-activité tout en prônant l’inter-passivité, il y doit de quoi perdre la raison. Il joue au chauffeur de salle, monte sur les gradins armé d’une brosse à dent , déplie une table de tennis de table et suscite finalement l’envie chez le spectateur de jouer au ping-pong avec lui. Pourtant personne ne bouge ni ne manifeste la moindre gêne. Le spectateur doit subir, ne pas réagir, pour adopter un comportement conforme au discours tenu. Expérience déroutante, oscillant sans cesse entre le j’y vais et le je n’y vais pas. Finalement le je n’y vais pas et je reste sagement au fond du fauteuil s’impose.
Cet effet provient des choses dites tout à fait pertinentes de par leur actualité, notamment à propos de la situation de l’art contemporain. Cet art effacé au profit de la culture de masse : ce que le spectateur achète comme de l’or, juste parce qu’il est inculte. Art contemporain réifié par la toute puissance de la communication, soumis aux logiques marchandes, devenu objet de consommation.
Renè Pollesch donne une forme indépendante à son art et échappe de cette manière au communicable, au marchandisable en imposant la contradiction vivante. Fabien Hendrichs aidé par un perchiste (rôle des plus ingrat s’il en est un) témoin de la captation incessante, dévoile les phénomènes sociaux sous-jacents propres à l’art contemporain. Avec cette interrogation permanente : que signifie, aller au théâtre aujourd’hui ?
D’après le texte, lorsque la forme est contraire, lorsqu’elle ne transige pas avec l’illusion, les faux-semblants, aller au théâtre est une forme de contestation, d’autant plus forte si le spectateur est passif. Il ne montre pas le théâtre tel que les consommateurs l’envisagent mais tel qu’il doit se présenter pour être autonome. Adorno a su montrer l’intérêt protestataire et salutaire qu’a la contradiction d’être vivante, vis-à-vis de la réalité.
De même que le théâtre de Beckett n’est pas absurde, seule l’existence l’est Le spectateur comprend ici que ce n’est pas l’œuvre d’art qui est irrationnelle, c’est simplement la réalité qui est contradictoire et insaisissable. . Le théâtre de Renè Pollesch développe cette exigence d’authenticité, pour ne pas leurrer le spectateur à l’intérieur d’une forme propice à l’« aveuglement social».
René Pollesch, Fabien Hinrichs, débusquent la contradiction et ne l’apaisent à aucun moment. Le spectateur est devant une œuvre indéterminable qui le travaille encore de l’intérieur. Le metteur en scène et ses acteurs ont tracé, dans un prodigieux effort artistique qui exige assurément beaucoup du spectateur mais lui apporte aussi beaucoup, un chemin peu arpenté aujourd’hui : celui d’une humanité redressée artistiquement.
Quentin Margne