MUSEE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN DE STRASBOURG : VOYAGE VERS LES CONTINENTS NOIRS D’ANNETTE MESSAGER

Annette Messager / Continents Noirs / Musée d’Art Moderne et contemporain / Strasbourg / Jusqu’au 3 février 2013.

Il était une fois une exposition d’Annette Messager au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg. Voyage étonnant et singulier vers ses « continents noirs », offre valable jusqu’au 3 février 2013.

Moineaux empaillés et habillés, photos retouchées, hybridations d’animaux et de peluches, installations à partir de photographies de bouts de corps, tissus brodés, voici comment on pourrait décrire certaines des œuvres d’Annette Messager. Elles sont colorées et étranges, touchantes et dérangeantes aussi. Ça, c’était avant. Depuis 2001, les œuvres d’Annette Messager ont évolué.

Fin du monde. Apocalypse. Vestiges. Destruction. Annette Messager, avec cette exposition, nous entraîne dans les méandres d’une œuvre sombre où règne chaos, désillusion, destruction, le tout saupoudré de fantastique, d’anticipation et d’humour noir : jouissif. On peut y voir des masques sur des balais, un oiseau gisant, une poupée abandonnée et disloquée, des peluches disséquées, une ville fantôme volante, la fin d’un monde – le notre –, un (petit) homme derrière un mur qui dévoile une bite énorme en ouvrant son manteau, un mickey chevauchant une souris (ou un gros rat) mais aussi des mots qui font partie de nos vies : chance, désir, jalousie.

Annette Messager est une artiste française née en 1943 dont la reconnaissance est internationale. Elle nous conte une histoire digne d’un roman de science-fiction. Les œuvres présentées ici sont récentes et reflètent les préoccupations actuelles de l’artiste. Entre ce que l’on connaissait d’elle avant et ce qu’elle fait depuis plusieurs années, on peut remarquer que le monde qu’elle construit et crée est toujours étrange et peuplé de poupées cousues, de peluches hybridées mais elle va plus loin, abandonne progressivement la couleur pour le noir, comme si la société avait tellement changé ces dernières années qu’il n’y avait plus d’espoir et que sa destruction en était inévitable. Joyeux, non ?

Marionnettes. Poupées. Théâtre. Pantin. Annette Messager nous montre un univers délirant dans lequel tout inquiète, bouge, semble bancal. L’artiste utilise souvent des objets du quotidien comme point de départ de ses œuvres. Avec l’œuvre « Motion-Emotion », elle nous plonge dans un monde où des personnages monstrueux issus de collages hétéroclites bougent en une folle danse. Ce qui les fait vivre et les fait louvoyer dans tous les sens ? Des ventilateurs. Ils sont comme des épouvantails faits de bric et de broc dans un champ pour éloigner les oiseaux. Mais ici, à quoi servent-ils ? À nous inquiéter ? À nous faire peur ? À nous faire prendre conscience des dérives d’une société consumériste qui joue, bidouille avec la vie et ne respecte plus rien ?

Annette Messager nous immerge dans un espace où la démence semble s’être infiltrée partout. On ne peut pas savoir où sera tel ou tel mannequin, nous devons faire attention où l’on va pour ne pas leur rentrer dedans. L’univers qu’elle propose est instable, fugitif, disloqué et violent. On se fraye un chemin entre ces pantins désarticulés qui se déplacent au gré d’un vent de folie en une invitation à participer ou à éviter cette danse macabre, au choix. Mais, entrons dans la danse, n’ayons pas peur de ces épouvantails, nous sommes aussi faits de plein de choses différentes, nous dérivons, brinquebalés dans une société en pleine mutation, nous nous déguisons également pour un carnaval de plus en plus inquiétant, où les règles semblent toujours plus incertaines.

Mascarade. Obsession. Sentiments. Perte d’identité. Mots. La mariée est résumée par un voile blanc vaporeux sur un balai. Sept balais lui font face, chacun étant surmonté par un masque noir et grotesque. On dirait Blanche Neige et ses Sept Nains – magie de la scénographie – conte revisité par l’œil contemporain d’Annette Messager. Entre ces deux œuvres : des oiseaux au sol en un étonnant « Miroir aux alouettes », mais surtout des mots. On peut y voir « love » et « jalousie » inextricablement liés mais aussi « chance » et « désir ». À croire que s’il y a l’amour, la jalousie va forcément de pair…

Mais où est le prince ? Peut-être est-ce l’obsédé qui se cache derrière un mur un peu plus loin. L’exhibitionniste ne l’est plus avec Annette Messager, c’est nous qui devenons voyeurs. Mais peut-être le sommes-nous réellement ? De plus en plus, nous sommes consommateurs : tout devient objet de consommation et donc sujet désirant de sexe, d’amour et de vie en une course folle où l’on n’existe que si l’on consomme, que si l’on possède. Où est passé le fait d’être soi tout simplement ? Les mots « mort » et « apocalypse » ne font pas partie de ceux inscrits dans l’exposition, pourtant ils semblent être partout même dans les filets qui forment les lettres des mots précédemment cités…

Écologie. Destruction du monde. Catastrophe nucléaire. Mélancolie. Annette Messager nous présente les résidus d’un monde défunt, de notre monde amené à disparaître. On pourrait dire qu’il s’agit-là d’une problématique très « soixante-huitarde » : les risques de catastrophes nucléaires, les guerres, la destruction de la terre, etc. Le problème est que malgré ce discours pessimiste qui avait cours il y a presque cinquante ans, on n’a pas réussi à l’éviter et il semble de plus en plus difficile de faire marche arrière. L’artiste, dans « Le Repos des pensionnaires » (1971), avait emmailloté des moineaux dans des vêtements qu’elle leur avait tricoté. Pourquoi ? Peut-être parce que nous sommes responsables des dommages subis par la nature et que c’est à nous, alors, de la protéger. Maintenant, ils sont disséqués et morts comme s’il n’y avait plus rien à faire.

Nous connaissions « Annette Messager, artiste », « Annette Messager, colporteuse » et « Annette Messager, collectionneuse » mais elle est aussi et avant tout témoin de son temps et de la société dans laquelle elle vit : « L’artiste ne fait que mettre en valeur les choses de la vie qui sont là. Il n’a rien d’autre à faire que de regarder autour de lui, d’observer et mettre en évidence certaines choses. […] Il déplace un peu les choses parce qu’il les met en gros plan, mais tout est là, dans la vie. » nous dit-elle. Avec les « continents noirs », elle semble établir un constat d’échec : il n’y a plus d’avenir ni de protection possible, tout est calciné, le monde, la joie, la vie, même l’art – on peut voir tous types d’objets qui semblent brûlés et figés dans l’installation « Sans légende ». On peut y voir aussi une figure telle une sculpture filiforme de Giacometti mais l’homme ne marche plus.

Lola Juan

1/ Annette Messager, Motion-Emotion, 2011-2012. 20 éléments, technique mixtes, ventilateurs. Dimensions variables. Courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery, Paris/New-York. Coll. de l’artiste ©photo : Marc Domage © ADAGP Paris 2012

2/ Annette Messager, Jalousie/love, 2010. Fil de fer, filet noir, 205 x 245 cm. Courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery, Paris/New-York. Coll. de l’artiste ©photo : Marc Domage © ADAGP Paris 2012

3/ Annette Messager, Le miroir aux alouettes, 2010. Miroir trois faces, deux oiseaux métallisés, 31 x 50 x 50 cm. Courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery, Paris/New-York. Coll. de l’artiste ©photo : Marc Domage © ADAGP Paris 2012

4/ Annette Messager, Les 7 balais, 2011. 7 balais, 7 masques
114 x 197 x 65 cm. Courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery, Paris/New-York. Coll. de l’artiste ©photo : Marc Domage © ADAGP Paris 2012

5/ Annette Messager, 3 Dissections millimétrées, 2011/2012. 3 peluches, 5 mètres enrouleurs, 193 x 395 x 30 cm. Courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery, Paris/New-York. Coll. de l’artiste ©photo : Marc Domage © ADAGP Paris 2012

Annette Messager, Continents noirs, 2012. 19 éléments enveloppés, drisses. Dimensions variables. Courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery, Paris/New-York. Coll. de l’artiste ©photo : Marc Domage © ADAGP Paris 2012

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