« JE SUIS INNOCENT » : ADEL ABDESSEMED, « ARTISTE DES ACTES »
Exposition : « Je suis innocent » / Adel Abdessemed / Centre Pompidou / Jusqu’au 7 janvier 2012.
«Je suis un garde-fou au bord du fleuve : que celui qui peut me saisir me saisisse ! Je ne suis pas votre béquille.», Ainsi parlait Zarathoustra «Du pâle criminel».
Le centre George-Pompidou présente cet automne la rétrospective d’un artiste plasticien faiseur d’images, Adel Abdessemed. A en lire les commentaires incendiaires au chevet de l’exposition, «Je suis innocent» n’a pas fini de déchaîner les passions. Adel Abdessemed produit des images depuis des formes variées, de la vidéo-performance au recyclage d’objets où se sont figées tant de nos représentations.
C’est le cas de Hope, immense barque d’apatride -de passeur d’images- remplie de sacs poubelle en résine. Practice zero tolerance évoque des bouts d’Histoire, d’actualité en une sculpture de voiture moulée en céramique et cuite au four. D’autres images alors viennent se heurter à cet objet imposé en plein milieu, celle des médias pour la crise de banlieues de 2006, d’un bus brûlé de début de guerre etc.
Dieu aussi est là, un peu partout –God is design- depuis d’étranges motifs arabesques dont la vidéo hypnotise. Dieu, en référence, après sa mort. Car encore quand Adel Abdessemed allongé sur un tapis se fait projeter par un groupe d’hommes pour tenter d’écrire au plafond Also sprach Allah, brève vidéo de l’épuisement au titre paraphrasant Nietzsche, cela ressemble à une cérémonie religieuse. « Dieu » s’écrit au plafond.
Coupable de quoi ? L’exposition semble proposer autre chose qu’un monde de représentations. « L’artiste des actes » comme il se définit lui-même déplace un schéma judéo-chrétien dominé par la Culpabilité en produisant une nouvelle image. Ainsi reprend-il le motif du tableau de Matthias Grünewald Le retable d’Issenheim pour créer Décor, quatre christs crucifiés faits de fils de fer de barbelés sur un mur. Il n’y a plus de trinité, ce sont devenus des corps, des motifs alignés.
Quoi qu’il se défende de guérir une société malade en se qualifiant plutôt de « détecteur » qui « ne travaille pas sur la cicatrice et ne répare rien », Adel Abdessemed agit sur le réel. Telles que se présentent ces courtes vidéos tournant en boucle devenues ainsi « acte », les images percutent et viennent interrompre un ordre habituel. Elles font gicler le liquide, à l’image de ce citron pressé par son propre pied, éclat de notre intimité, de ce qui nous anime jusqu’aux parts les plus inavouables. Retour à la vie.
Affirmation nietzschéenne d’une philosophie de la vie, si dionysiaque soit-elle tant qu’il y a ivresse (« De quoi ? de vin, de poésie ou de vertu… mais enivrez-vous! » écrivait Baudelaire) c’est le Oui de l’étoile modelée en cannabis sous plexiglas. Déca-danse. Elle passerait presque inaperçue au milieu de toutes ces animalités, de toute cette humanité.
C’est sur cet immense mur des Enfers de la taille de Guernica, mur des cauchemars, ce mur des loups, Who’s afraid of the big bad wolf? que se dévoile le génie de l’artiste à la voix de l’enfant; « Je suis innocent ». En face, une vidéo difficilement soutenable tourne en boucle, celle d’une performance présentée à la Biennale de Venise en 2003. Real Time donne à regarder des couples faisant l’amour devant des spectateurs debout qui à la fin applaudissent. Acte en elle-même la vidéo nous place ainsi dans cette position de voyeur, familière du monde de l’art contemporain…- regard coupable de complicité. La salle est interdite aux enfants. Non, les images ne sont pas innocentes mais elles sont là, attendant d’être accueillies, réprimées, rejetées, libérées.
Animalité de l’homme, c’est inhumain dit-on.
Et quand on lui dit que son travail est agressif et violent, Adel Abdessemed répond : « je n’y pense jamais, je fais des images… »
Flora Moricet
Adel Abdessemed « Je suis innocent », au Centre George-Pompidou Galerie Sud, jusqu’au 7 janvier 2013
Sources : Entretien avec Pier Luigi Tazzi, Adel Abdessemed
Entretien avec Laure Adler sur France Culture
Crédits : © Adel Abdessemed, ADAGP Paris, 2012/Courtesy de l’artiste et de David Zwirner, New York-London