LE GENIE D’OSTERMEIER AU SERVICE D’HEDDA GABLER

THOMAS OSTERMEIER : HEDDA GABLER / d’après Ibsen / mes T. Ostermeier / Théâtre Les Gémeaux / Sceaux / Du 14 novembre au 25 novembre 2012.

Thomas Ostermeier revisite la pièce d’Ibsen au sujet d’une femme hors limites, et signe une mise en scène ultra-moderne à l’esthétisme captivant.

Un socle noir rectangulaire, un voile – écran blanc. Celui sur lequel sera projetée une vidéo laissant défiler les images d’immeubles bourgeois, de berlines classieuses, dans des rues tranquilles. Le plateau tourne pour s’ouvrir sur l’intérieur design, aux formes fines et aux symétries parfaites, d’Hedda Gabler et de son mari Tesman. Il s’y exalte avec sa tante d’un avenir radieux : le poste de professeur d’histoire à l’université, le traitement confortable, la villa qui, et elle le peut bien au vue de l’endettement engendré, satisfait les prétentions de son épouse… – Ibsen, qui créa la pièce en 1891, n’a jamais été tendre avec les bourgeois.

C’est dans ce luxe moral et matériel épuré que se joue la vie d’Hedda Gabler. Derrière ces baies vitrées transparentes qu’elle regarde tomber la pluie. Quoi de mieux à faire lorsqu’on est fille d’un général prestigieux, jeune épouse d’un historien ambitieux, et femme qui espérait de sa propre existence plus de grandeur ? Cette douleur vive de la mauvaise trajectoire de vie, réveillée par le retour de son ancien amant Lövborg, le paria bohême devenu brillant scientifique, amorce son virage vers la folie.

Lorsque Hedda Gabler apparaît sur scène, sa fraîcheur lisse ne laisserait presque rien entrevoir de tout cela. Le choix de Katharina Schüttler est un risque payant. Puissance de sa feinte innocence, froideur douce : Ostermeier ne magnifie pas une femme tourmentée et orgueilleuse, il laisse plutôt s’étendre l’ambiguïté d’une femme-enfant qui ne résistera pas à la réalité, et sera à la fois proie et bourreau. L’héroïne, devenue dans cette relecture plus familière, devient incarnation d’une psychopathie effroyable. Sa partition, comme celle de ses partenaires, se réalise dans un rythme quasi-mathématique.

Le même que celui des effets tournant du décor. Tout est facettes, reflets et manèges dans la scénographie de Jan Pappelbaum. Le jeu de miroir instaure la question de l’image comme omniprésente, obsédante, et en révèle le dysfonctionnement oppressant. Tout est tableaux aussi, composés d’une musique à l’esprit pop-glamour, d’images vidéo esthétisantes, de jeux d’angles et de lumières. Des créations visuelles qui subliment la déchéance de ceux en qui couvent la haine de l’échec ou le besoin de s’éteindre dans l’ivresse, autant qu’elles parodient les archétypes sociaux faussement excitants dans lesquels se sont enfermés les personnages.

Cette esthétique éblouissante, cette relecture vivifiante et d’une cruauté sans merci, rendent à la modernité d’Ibsen toute sa puissance et toute sa splendeur.

Aude Maireau

Images copyright Thomas Ostermeier 2012.

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