FESTIVAL D’AVIGNON : « PING PANG QIU », ANGELICA LIDDELL SANG ET CHAIR
FESTIVAL D’AVIGNON 2013 : PING PANG QIU : ANGELICA LIDDELL / texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell / avec Fabián Augusto Gómez Bohórquez, Lola Jiménez, Angélica Liddell, Sindo Puche / Du 5 au 11 juillet (relâche le 9), Gymnase Mistral à 19 h. le 5, à 15h. les autres jours.
Angélica Liddell est vite devenue en quelques années l’artiste incontournable du Festival d’Avignon, en 2010 avec « La Casa de la Fuerza », son onde de choc d’une puissance rare touchait tous les festivaliers qui découvraient pour la plupart cette performeuse hors-norme. Elle revenait l’an dernier avec « Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation », autre temps fort du Festival.
Cette année Angélica Liddell nous présente deux œuvres dont «PING PANG QIU », deuxième volet du triptyque chinois. Elle définit elle-même la genèse de ce spectacle comme un besoin impératif de dire tout l’Amour quelle porte à la Chine. Une Chine toute en contradiction où l’expression, la Beauté, n’ont plus de sens.
Attablés autour d’une table de ping pong, jeu qui par excellence nécessite travail et rigueur, Angélica, toute en puissance croissante délivre son désespoir et cette nécessité de noyer son immense tristesse dans un travail acharné et colossal. Par des répétitions systématiques elle tend l’élastique émotionnel du spectateur jusqu’au point de rupture, avant de le laisser souffler par de magnifiques tableaux d’une incontestable poésie, soutenus par l’air sublime de l’opéra de Gluck « J’ai perdu mon Eurydice ».
L’auteure suggère le parallèle entre son Amour pour la Chine et celui d’Orphée pour Eurydice à qui, par amour, il donna une seconde fois la mort.
L’anéantissement de l’expression individuelle et de la Beauté qu’Angélica Liddell décrit et danse, prend son envol lors de la description de dialogues qu’elle a eu à Madrid avec deux artistes chinois dans l’incapacité de critiquer leur pays, et toutes les abominations de la révolution.
Les excès et les dérives violentes de la Révolution Culturelle sont évoqués par des exemples qui font froid dans le dos. L’autodafé monstre de cette époque est symbolisé par la destruction par les flammes d’un livre qui traite du mythe d’Orphée. L’amour entre deux personnes est contre-révolutionnaire. Pleurer ses morts et avoir des souvenirs est contre-révolutionnaire.
Le courant maoïste qui a sévi en France dans les années soixante est sévèrement évoqué. Seuls des bourgeois aisés, vivant dans un monde doré et se voilant la face devant la dure réalité chinoise, pouvaient tomber dans ces errements. Elle ne comprend pas ce pays où seul l’engrenage compte et pas l’homme, capable d’infinie beauté. Elle éructe cette contradiction qui lui ronge le cœur et l’âme.
Le dernier volet de ce spectacle laisse libre cours à toute l’expression artistique et individuelle, sang et chair d’Angélica Liddell. « Duende » est une notion qu’on retrouve incontestablement dans l’Art d’Angélica Liddell, véritable performeuse, artiste à fleur de peau, entière, qui parvient à nous faire ressentir tout son désespoir à chaque pas, à chaque mot. C’est elle qui donne le rythme imposé au cœur des spectateurs, elle qui nous laisse souffler, elle qui crie un désespoir ici partagé.
Pierre Salles