YVES-NOEL GENOD : « 1er AVRIL » (Version de travail) AUX BOUFFES DU NORD

1er AVRIL (Yves Noel Genod 2013)

Yves Noel Genod : 1er avril (version de travail) / Théâtre des Bouffes du Nord / 6 – 7 septembre 2013 / 1er – 12 avril 2014

Yves-Noel Genod nous ouvre les portes de son atelier intérieur et nous donne rendez-vous à l’heure rare où les fantasmes prennent corps et voix. Affranchie du poids des contraintes narratives, la poésie à l’état pur s’incarne dans des apparitions saisissantes, dans un acte essentiel de mise en partage de l’imaginaire.

Il s’agit d’une étape de travail, suspendue entre la fulgurance d’une première fois lointaine (Bruxelles, 2011) et une programmation à venir (avril 2014). Le metteur en scène revient sur un geste inaugural qui s’est épanoui par la suite dans une série de créations partageant cette même texture à la fois dense et poreuse, foncièrement fertile, des rêves : je peux / — oui (Théâtre de la Cité internationale, décembre 2011), Chic by Accident (Etrange Cargo à la Ménagerie de verre, mars 2012) et Je m’occupe de vous personnellement (Théâtre du Rond-Point, juin 2012).

Le verbe fiévreux de Gérard de Nerval et sa musicalité hallucinée irriguent en profondeur une pièce qui assume pleinement sa condition paradoxale : inédite et déjà archétypale. Dans le sillage d’El Desdichado, sonnet placé sous l’arcane des Chimères, la salle du Théâtre des Bouffes du Nord s’anime d’une vie fantasmagorique, mystérieuse, qui suinte des murs et s’épanche dans des chants d’oiseaux et autres chuchotements en tous genres, sous la lueur discrète et entêtée d’une veilleuse solitaire qui émaille de son regard taiseux la splendeur passée de la coupole. Le volume vide acquiert une densité vaporeuse, mue dans un espace musical et poétique. D’abord un lointain murmure, une voix de tête s’affirme doucement dans la frisson de sa fragilité, avant de se déposer comme une douloureuse offrande à l’endroit même où s’écroulait Didon dans l’opéra de Purcell merveilleusement mis en scène par Samuel Achache et Jeanne Candel la saison dernière. Apparition hantée, comme arrachée aux limbes informes, Bertrand Dazin semble se fondre dans le mur, tout en lui révélant, de par le raidissement progressif de ses muscles, les tensions porteuses.

Nous voilà au cœur de la science sécrète d’Yves Noel Genod à réactiver les puissances créatrices de la poésie, à titiller la mémoire collective, à réveiller le génie du lieu, en les focalisant dans des incarnations d’une rare intensité qui se tiennent au bord du gouffre, avec l’avidité d’une première fois sans cesse recommencée. « Il n’y a pas de spectacle ! » ressassent les performeurs après un moment suspendu et des saluts muets qui chargent littéralement le plateau vide d’une tension sourde et explosive. Quelque chose de beaucoup plus fort y est en jeu. Yves Noel Genod vise une sublimation, le dénouement radical des oripeaux narratifs attise toutes les histoires possibles dans un mouvement vertigineux. Tunique rouge sang de dompteur, Jeanne Monteihet élève sa voix ample de soprano qui semble se nourrir des courants souterrains qui traversent en profondeur la pièce. « Chacun sait que dans les rêves on ne voit jamais le soleil. » Les mots sibyllins de Gérard de Nerval imprègnent littéralement l’espace, en résonance intime avec les airs lyriques gorgés d’émotions. Douceur et pathos se disputent les visages et corps des deux solistes, tragédiens accomplis, qui enfoncent les portes de toutes les perditions. Des intensités de vécu insoupçonnables sont atteintes avec une parfaite économie des gestes. Et puis la cage de la scène désespérément, inconsolablement vide.

Louis Lorain y fait son entrée, comme replié sur lui même sous des lunettes de soleil, son cuivre à la main. Il prend son temps, taquin, il joue de nos attentes, il s’adonne à un récital de fumée, une cigarette rivée au coin des lèvres qui l’accueillent voluptueusement. Il sonne le glas des années folles, l’âge d’or du cinéma s’invite sur le plateau dans une déferlante de personnages, de créatures déroutées, à la recherche de leur histoire, du geste juste, d’un équilibre toujours évanescent, périlleux, à proprement parler, quand il s’agit de manier un sabre, de se dévêtir sous en voile doré ou de remettre en jeux les lois de la gravité.

Ne dévoilons pas davantage cette expérience exquise à gouter sans modération. Rendez-vous est pris, au Théâtre des Bouffes du nord, en avril.

Smaranda Olcèse

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Photos : Patrick Berger (1&2), Philippe Gladieux (3)

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