BIENNALE DE LYON : François Chaignaud & Rocio Molina
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BIENNALE DE DANSE DE LYON : François Chaignaud « Думи моï » / Rocio Molina « Bosque Ardora ».
Pour sa programmation, Dominique Hervieu, la directrice artistique de la 16e Biennale de la danse de Lyon, a fait le choix de spectacles qui lui ressemblent. On retrouve beaucoup de la créatrice de Paradis ou de On danse dans le caractère fougueux, déluré, kitsch d’une partie de la programmation. Deux créateurs s’inscrivent dans ce choix de l’exubérance : François Chaignaud et son solo « Думи моï » assume un kitsch débridée et intime d’un côté et Rocio Molina, la danseuse de flamenco tout en sexualité de carton-pâte. Exubérance, ou comment le lait de la tendresse humaine sort de la mamelle dans un jet précis, tiède et exaltant.
François Chaignaud, Думи моï :
le titre signifie « mes pensées » en ukrainien. Mais c’est aussi un jeu de mots qui signifie mes musiques. Bref, c’est une part de l’humanité dans son intimité propre que François Chaignaud nous offre. Si la création s’est faite dans une grotte, nous voilà au beau milieu d’une salle polyvalente (on a les lieux de réunions de son époque!), en petit groupe. Nous sommes assis en arc de cercle, en communion, sur des sièges gonflables transparents. De sa voix de basse magnifique, chaude et profonde, Chaignaud interprète des chants qui avouent quelque chose, qui se confient. Il peut aussi passer en voix de tête, de façon moins convaincante mais toute aussi généreuse. La bande sonore est très troublante puisqu’elle mêle l’accompagnement musical des prières, des rythmes percussifs quasi-militaires et d’autres sons insoupçonnés. On peut saluer ici l’intelligence de l’artiste de s’entourer de spécialistes (artistes, techniciens, les deux. Dans ce cas précis il s’agit de Jérôme Marin) pour qu’ils éclairent et fortifient ses intuitions.
Tout l’univers est une inspiration du rituel tribal (grands chapeaux de cérémonie, serpent, danses) mais passé au filtre de notre société contemporaine (des paillettes à mort, du second degré). Le spectacle est aussi une inspiration de l’Europe (par le choix des chansons) et de l’ailleurs. Le costume incroyable de Romain Brau s’abreuve de toute une série d’imaginaires ultra-marins, extrême-orientaux, africains pour créer un costume extra-voguant, qui ondule dans l’espace…
Il y a une recherche permanente d’un esthétisme précis et pointilleux qui charmera une grande partie du public, surtout parce que cette recherche est très travaillée et sans gratuité. Le spectacle s’intègre aussi dans l’œuvre globale de l’artiste qu’il faut suivre, impérativement. Exubérance, quand tu nous tient !
C’est peut-être la sincérité intérieure dans la création d’un univers extérieur très foisonnant qui lie ses deux artistes qui n’ont à priori rien à voir. Ce sont aussi des interprètes qui questionnent fondamentalement les formes très figées de leur art de base : la danse classique pour Chaignaud, le Flamenco pour Molina.
Rocio Molina : Bosque ardora
Le spectacle s’ouvre sur une vidéo. Entre des images volées à l’office du tourisme du Canada et un bruitage digne d’un clip de Maria Carey (version 1998, quand elle avait encore des cuisses), le pari esthétique de la soirée est lancé : Exubérance on vous dit. L’écran fait place à un décor sylvestre tout droit sorti d’un conte pour enfant. Entre en scène la bailadora Molina, coiffée d’un masque de renard. Il sera question d’animalité, de bestialité dans cette proposition iconoclaste. Au mitan du flamenco brûlant et du clip de dance brillant, le parti pris de ce spectacle est finalement très osé et assez réussi. Comme dans les représentations télévisuelles, le sexisme devient la donnée principale des relations. Toute personne est réduite au rang d’objet, sexuel dans le cas présent. Que ne dirait-on pas si un homme se permettait avec ses danseuses le dixième de ce qu’impose, dans l’imagerie sado-chic, Rocio Molina ! Simulacre de rapports, humiliations, ça se touche, ça se renifle, ça se caresse ou ça se fouette pendant toute la pièce.
Ce qui sauve le spectacle, c’est évidemment la danse. Le flamenco de la bomba Molina est pur, intense comme une attaque au désespoir. La partition des jambes est époustouflante et celle des bras jugule en permanence entre geste traditionnel et invention osée. Rocio Molina réinterroge aussi le rapport à la robe. Déjà parce qu’elle n’en porte pas tout le temps et lui préfère souvent un mini-short en lycra de toute laideur et de toute sexualité. Même quand elle danse en robe longe, les plans peuvent s’accrocher à ses pieds, les volants peuvent s’évader, elle laisse la robe beaucoup plus libre quitte à s’empêtrer dedans. Les attributs féminins doivent s’assumer pleinement ou n’être pas. Les scènes de trio (de triolisme) sont aussi des moments oscillants entre exaltation grossière de la sexualité et danse rigoureuse. On peut être plus ou moins rétif à cet étalage de chair mais on ne peut qu’être séduit par la qualité technique des danseurs et le choix toujours risqué et ingénieux des enchaînements. Le kitsch l’emporte et l’on plonge l’œil dedans comme l’enfant une cuillère dans une mousse au chocolat écœurante.
Bruno Paternot
Думи моï ( prononcer Dumy Moyi)
Solo — Création 2013 — Durée 35 min
Chorégraphe : François Chaignaud
Compagnie : Vlovajob Pru — Conception, interprétation : François Chaignaud — Musique : Textes et chansons interprétés par François Chaignaud — Scénographie : François Chaignaud — Conseil musical : Jerôme Marin — Création costumes : Romain Brau — Création lumières : Philippe Gladieux
Accueil : Le Toboggan, Décines
Compagnie Vlovajob pru – Coproduction Festival Montpellier Danse 2013, Festival d’Automne à Paris, Centre de Développement Chorégraphique Toulouse / Midi-Pyrénées, Gessnerallee Zürich, deSingel Internationale Kunstcampus (Anvers), Ménagerie de Verre (dans le cadre du Studiolab, laboratoire de recherche).
La compagnie est subventionnée par la DRAC Poitou-Charentes et reçoit l’aide de l’Institut Français pour ses projets à l’étranger.
Bosque Ardora
Pièce pour 3 danseurs et 6 musiciens — Création 2014 — Durée 1h15
Direction artistique et dramaturgie : Rocío Molina avec Mateo Feijoo
Direction musicale : Rosario « La Tremendita » — Poèmes : Maite Dono — Danseurs : Rocío Molina, Eduardo Guerrero, David Coria — Musiciens : Eduardo Trassiera (guitare), Jose Angel Carmona (chant), Jose Manuel Ramos « Oruco » (palmas-compas), Pablo Martin Jones (percussions), José Vicente Ortega « Cuco » (trombone), Agustin Orozco (trombone) — Musique : Eduardo Trassiera (composition de guitare originale et arrangements pour trombones) — Collaboration : David Dorantes (composition de la pièce Mandato pour trombones) — Scénographie : Mateo Feijoo — Création costumes : Josuep Ahumada — Création lumières : Carlos Marquerie
Spectacle présenté avec la participation exceptionnelle de la région Rhône-Alpes.
Accueil : Théâtre de Villefranche sur Saône, Radiant – Bellevue, Lyon / Caluire, Biennale de la danse
Coproduction Biennale de la danse de Lyon 2014, Festival de Marseille_danse et arts multiples, Théâtre National de Chaillot, Théâtre de l’Olivier / Scènes et Cinés Ouest Provence, Festival Internacional Madrid en Danza, Bienal de Flamenco de Sevilla, Théâtre de Nîmes – scène conventionnée pour la danse contemporaine, Ballet National de Marseille, Théâtre de Villefranche Spectacle présenté avec la participation exceptionnelle de la région Rhône-Alpes.
Une interview de François Chaignaud :
Visuels : 1- Rocio Molina / 2- François Chaignaud / Photos DR, alain Sherer