PLAYHOUSE, LA VILLE : DEUX TEXTES DE MARTIN CRIMP AU STUDIO-THEÂTRE DE VITRY
Ouverture(S) au Studio-Théâtre de Vitry
Paris a ses théâtres sur les grands boulevards, Vitry-sur-Seine a un des siens dans les résidences pavillonnaires. Le Studio-Théâtre de Vitry (à ne pas confondre avec celui d’Asnières-sur-scène ou le Théâtre Studio d’Alfortville!) assortis son parti pris artistique et sa situation géographique : pour s’y rendre, il faut faire un pas de côté, à la marge des grandes autoroutes culturelles. Qui plus est, il se trouve avenue de l’Insurrection…
Petite maison reconvertie en lieu de travail, l’équipe (la famille) du théâtre vous y accueille avec chaleur et bienveillance, que vous soyez spectateur ou artiste. Entre guirlandes de guinguette, brasero dans le jardin (un véritable foyer du théâtre!), tables avec pots pris en commun avant ou après les spectacles, tout à été pensé pour le bien-être et la tranquillité du corps afin de se concentrer sur les matières spirituelles et que l’esprit, lui, entre en insurrection. Plusieurs propositions publiques émanent de ce lieu, principalement voué au travail de recherche et de résidence : présentation des productions de Daniel Jeanneteau, le directeur artistique ; comité de lecteurs, ateliers de pratiques artistiques… ; Ouvertures à d’autres artistes.
En Novembre 2014, ont eu lieu les Journées Martin Crimp pour célébrer l’auteur anglo-saxon qui sera présent en Décembre au Théâtre National de la Colline (La Ville, mis en scène par Rémy Barché) et au Théâtre National du Palais de Chaillot (Dans la république du bonheur, mis en scène par Élise Vigier et Martial Di Fonzo Bo). Deux spectacles, une lecture et une rencontre ont été organisés pendant toute une semaine.
Playhouse
Le texte inédit de Martin Crimp s’acharne à montrer comment, malgré tout ce qui chamboule un quotidien (le sexe, une promotion, une rencontre), deux personnages obsédés par la propreté physique et morale (se laver les dents, nettoyer le frigo, ne jamais mentir) se renferment dans un monde « Ikéa » tout en faux semblant et certitudes. Dans Playhouse comme dans une majorité de ses pièces, Martin Crimp tente de réunir à lui tout seul la totalité du théâtre anglophone. De la perversion d’Albee à la violence latente de Bond en passant par le réalisme tronqué d’un Horovitz, Crimp mixe le tout sans jamais arriver aussi haut que ses congénères, surtout dans l’exaltation du sous-texte à la Pinter. La mise en scène de Rémy Barché, elle aussi, ne choisit pas vraiment vers où s’engager. De l’introspection à un jeu volontairement outré, tout cela manque d’une intime sincérité qui viendrait rajouter des couches de complexité à ce spectacle un peu trop simple, en apparence comme en profondeur. On notera malgré tout l’interprétation très généreuse et engagée des deux comédiens qui rendent cette proposition excessive supportable.
La Ville
Le spectacle, présenté en décembre à la Colline est ici joué dans sa version « unplugged », ce qui signifie sans décors et sans lumières.
La proposition « unplug » pose elle-même question. Si on joue le spectacle sans décors et sans lumières, quelle est donc leur utilité fondamentale, hormis pour faire plus « branché » (s’il y a une version un-plug, c’est donc qu’il existe une version plug?) Un élément qui n’est pas essentiel au poème en devient très vite accessoire voire inutile. Le fait de pouvoir supprimer un élément de la création artistique interroge sur la capacité de la compagnie à créer un univers entier, une œuvre dont les divers éléments s’imbriquent et se portent les uns les autres.
Dans une banlieue anonyme, un couple quelconque reçoit la visite d’une voisine. Les comédiens, figés dans un sourire de façade pèsent leurs moindres gestes, tout ce monde risquant de s’effondrer au moindre souffle. Ne laissons pas apparaître la fissure, ce trou béant risquerait de tout avaler. Mais à trop vouloir cacher les ennuis, existentiels (pourquoi a-t-on des enfants, qu’est ce que le couple, comment gérer les ravages de la guerre…) ou insignifiants (une tenue de travail, la vue depuis la fenêtre, un petit cadeau…) ceux-ci rejaillissent de plus belle.
Cette proposition refuse le réalisme – dans le traitement de la diction, de la voix, de la gestuelle – tout en accordant une grande place à l’investissement intérieur stanislaskien. Cela a pour effet un surinvestissement des répliques, comme s’il fallait à tout prix remplir un texte en creux. Cette attention constante et pesante bute et empêche la compréhension et l’avancement dans les coq-à-l’âne constants de la conversation. Contrairement à la première scène de Dans la république du bonheur mis en scène par Vigier et DiFonzo Bo, où le rythme, l’entrecroisement des répliques (comme un splitscreen télévisuel) rend tout à fait crédible, réaliste la partition, ici, le trouble entre réel et réalité est balayé d’un coup de mise en scène. Quand on attendrait de la dentelle, on se voit infligé une mise en espace au stabilo.
Crimp joue sur la pauvreté apparente. Mais à trop tromper son monde, à cacher bien au fond du poème la richesse du langage et du propos, le spectateur finit par perdre si ce n’est sa patience, tout du moins son temps.
Bruno Paternot
Playhouse de Martin Crimp : traductions Rémy Barché et Adèle Chaniolleau, mise en scène Rémy Barché – avec Myrtille Bordier et Tom Politano – dramaturgie Adèle Chaniolleau, scénographie et lumière Nicolas Marie, son Michaël Schaller, costumes Marie Larocca
La Ville de Martin Crimptraductions Philippe Djian – mise en scène Rémy Barché – avec Marion Barché, Myrtille Bordier, Louise Dupuis, Alexandre Pallu – dramaturgie Adèle Chaniolleau, scénographie et lumière Nicolas Marie, son Michaël Schaller, costumes Marie Larocca
Photos Axel Coeuret